Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire

Publié le 13 avril 2014

« En matière d’ESS, le conseil général doit afficher une politique volontariste, basée sur ce qui fait son ADN : le social, les publics et le territoire. »

Élu conseiller général en 2004, Jean-Luc Gleyze est aujourd'hui vice-président du Département de Gironde, en charge de l' “aménagement économique solidaire”. Un titre particulier qui est le reflet de l'évolution de l'ESS au sein de la collectivité et de la politique que cette dernière mène aujourd'hui.

Comment est née la politique ESS menée par le Département ?

"Lorsque j'ai été élu il y a 10 ans, il n'y avait pas de politique ESS au conseil général. J'étais alors président de la commission économique et la première question que je me suis posée a été « Qu'est-ce que doit faire un conseil général en matière économique ? ». Notre choix a été de s'inscrire en complémentarité de la région et de travailler autour de trois axes : soutenir l'économie dans les territoires en difficultés (territoires ruraux, en politique de la ville...), soutenir les TPE et petites PME, et accompagner les publics en difficultés (demandeur d'emploi ?, RSA...) à la création d'entreprise. Là où la région soutient l'économie -et cela relève de sa compétence- en portant ses efforts sur la compétitivité, les filières d'excellence, l'innovation, nous avons choisi de construire une politique liée à l'équité et au maillage territorial, aux natures d'entreprise et aux publics. Nous avons par exemple beaucoup travaillé sur les groupements d'employeurs afin d'accompagner certaines entreprises qui manquaient d'emploi sur certaines compétences et n'avaient pas les moyens d'embaucher de temps plein. Nous avons participé au groupe de travail européen « Ge Transfer » sur les groupements d’employeurs et un centre de ressources départemental sur le sujet a vu le jour. Nous soutenons également les Coopératives d'Activités et d'Emploi, et sommes même entrés il y a deux ans dans le capital de l'une d'entre elles qui est passée du statut SCOP à SCIC. [86] Petit à petit, avec ces axes de travail, la politique économique a évolué et progressivement, la question de l'ESS est devenue prégnante. Le lien entre les élus et les services de l'économie et du social s'était tissé. Désormais, nous travaillons en transversalité. Si le champ de l'ESS a émergé progressivement, aujourd'hui il est largement présent dans notre politique."

Vous avez annoncé récemment la réalisation d’un livre blanc des acteurs de l'ESS en Gironde. De quoi s’agit-il ?

"Nous avons mis en place de nombreuses actions, mais qui restaient éparses : il fallait que l'on assoit la visibilité et la lisibilité de l'ESS. Nous avons donc engagé la réalisation d'un livre blanc [87] avec les acteurs du territoire. Ce livre blanc a trois objectifs : mettre en place une concertation avec les acteurs, prendre le temps de poser les choses et co-construire les bases d'une politique forte. Il sera véritablement l'expression des acteurs du territoire et va permettre de dégager collectivement un état des lieux, à partir duquel nous allons construire nos politiques et articuler les complémentarités des collectivités, le « qui fait quoi ». La politique du département sera certainement amenée à être modifiée par rapport à ce qu'elle est maintenant. Mais je veux fédérer en interne et en externe, autour d'une vraie politique qui a du sens."

Vous avez évoqué votre complémentarité avec la politique régionale, comment voyez-vous la future loi sur la décentralisation qui va certainement bousculer la répartition des compétences des collectivités ?

document.jpg"La redéfinition des compétences des collectivités va nous amener à faire des choix plus radicaux, dans le sens où nous allons devoir prioriser nos politiques volontaristes. Pour moi, par exemple, le conseil général doit investir pleinement l'ESS à travers les valeurs qu'il porte : la solidarité, l'attachement aux publics fragiles, l'équité territoriale... Je crois beaucoup au lien entre l'ESS et territoire. Et le département, de par sa proximité et sa politique sociale qui font son ADN, y a toute sa légitimité. Effectivement, l'articulation avec la Région s'est faite assez naturellement ; chacun ayant investi l'ESS à travers ses compétences respectives. Par contre, l'articulation avec les métropoles s'annonce plus complexe. Nous avons de grandes métropoles, « polycompétentes », qui peuvent investir l'ESS avec différents axes. Il va falloir vraiment travailler sur la complémentarité département – métropole."

À échelle nationale, qu’attendez-vous de la future loi ESS, en plénière à l'Assemblée nationale ce mois-ci ?

"Comme pour les notions de parité, l'ESS devrait être « naturelle », car à partir du moment où on s'intéresse à elle, où on l'affiche dans une loi, on la singularise forcément. Le risque étant même de l'afficher comme une économie « au rabais », qu'il faut soutenir parce qu'elle a du mal à exister. Mais, en même temps, il faut passer par là pour la rendre visible et montrer qu'elle est déjà présente partout. La loi permet d'affirmer que le champ de l'ESS a un impact sur le développement économique et qu'il faut y prêter attention. Et le fait de parler d'ESS peut donner envie de s'y intéresser. Enfin, il n'est pas inutile de remettre en avant ses principes dans une période où l'économie conventionnelle tend parfois à faire oublier les valeurs collectives au profit d'intérêts individualistes. Nous sommes en train d'oublier que l'économie est un outil au service des hommes et des territoires, avec comme objectif de procurer du bien-être et du bien vivre. L'ESS permet de recadrer cette déviance. Je mets finalement beaucoup d'espoirs dans cette loi, tout en n'étant pas naïf car je connais aussi les réalités financières de son application."

Et à échelle locale, comment voyez-vous la place de l'ESS dans les programmes des municipales ?

"À échelle locale, nous l'avons vu dans les programmes des municipales, l'ESS n'est pas une préoccupation forte et en est encore à ses balbutiements. Nous sommes restés dans les schémas de pensée traditionnelle d'une activité économique industrielle qui, en s'implantant sur un territoire, créait 30, 40, 50 emplois d'un coup. Beaucoup d'élus et d'habitants fonctionnent encore avec cet inconscient collectif. Il faut montrer que l'ESS crée aussi des activités. Différemment mais de façon durable. Les activités sont plus disséminées, moins immédiatement visibles, mais tout aussi créatrices de richesses et surtout non délocalisables. Dans ma commune par exemple [88], nous hébergeons une CAE. La plupart des habitants ne savent pas vraiment ce que c'est, ce que l'on y fait, et ce n'est pas simple à expliquer. La difficulté de l'ESS, c'est qu'elle est tellement présente partout qu'on ne la voit plus, et attirer l'attention sur elle équivaut aussi à la singulariser dans le monde économique."

Vous êtes adhérent au RTES depuis 2011. Quel rôle doit jouer le réseau ?

"Nous avons adhéré au RTES pour « tremper nos cervelles dans du liquide neuf » ! Nous avions besoin de nous ressourcer à travers d'autres rencontres, d'autres expériences. C'est toujours le cas aujourd'hui, et pour moi le RTES a deux fonctions principales : faire du benchmarking, du transfert d'expériences, de bonnes pratiques entre collectivités, et porter la voix des territoires auprès des instances nationales et européennes."

Pièces jointes