Entretien avec Marc Godefroy - Europe et expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée »
Marc Godefroy, conseiller métropolitain à l'ESS à la Métropole Européenne de Lille revient pour nous sur 2 sujets : le colloque « Europe & ESS » du RTES, organisé à Lille le 12 janvier dernier, et l’expérimentation « zéro chômeur de longue durée » en cours sur le territoire de la MEL.
Vous avez participé et soutenu le colloque « Europe & ESS, l'heure est venue ! » organisé par le RTES à Lille le 12 janvier 2018. Quelle impression en avez-vous gardé ?
Ce colloque à la Maison Stéphane Hessel a été un très bon moment de rencontre et de réflexion sur ce que l'Europe peut apporter à l'ESS dans les territoires.
Dans un contexte de diminution des financements publics au niveau national, les fonds européens constituent une ressource importante à mobiliser pour les collectivités. Pour autant, les modalités de mise en œuvre des financements européens sont un terrain potentiellement semé d'embuches. Cela nécessite d'ailleurs d'interpeller l’État, car il semble qu'en France, ces modalités soient beaucoup plus complexes que dans d'autres pays européens. Le RTES a sur ce terrain un rôle d'interpellation à jouer. Après, certains programmes sont plus faciles d'accès, et les collectivités ont aussi un effort à faire pour mieux s'articuler au potentiel offert par les fonds européens. C'est ce à quoi s'emploie la MEL, notamment par la délégation d'un directeur général adjoint à la relation avec Bruxelles, afin de mobiliser les potentiels européens sur notre territoire.
Le colloque a aussi été l'occasion d'une réflexion intéressante sur le rôle des acteurs de l'ESS pour renforcer l'appropriation de l'idée européenne sur des bases autres que techniques ou financières. Les acteurs de l'ESS sont à même de porter des projets avec d'autres acteurs dans d'autres régions européennes, allant dans le sens d'une plus grande adhésion à l'idée européenne, à la construction de sa citoyenneté.
La MEL est un des 10 territoires d’expérimentation de l’initiative « Territoire zéro chômeur de longue durée » (TZCLD). Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
L'expérience TZCLD, initialement portée par l'association ATD-Quart Monde, est fondée sur trois hypothèses originales souhaitant démontrer que l'argent, les compétences et les besoins ne manquent pas :
-l'argent ne manque pas : les aides et allocations sociales, qui sont des dépenses importantes des collectivités, auxquelles il faut ajouter les coûts considérables de l'inactivité : maladies, décohésion sociale voire délinquance. Cet argent actuellement dépensé ne créé pas de valeur.
-les compétences ne manquent pas : dans ces deux quartiers, beaucoup de demandeurs d'emplois, qui n'ont pas choisis de l'être, ont des compétences mobilisables de tout ordre (humaines, techniques…), qui sont gâchées si elles ne sont pas utilisées.
-les besoins sont infinis, et le marché ne parvient à tous les satisfaire, faute de solvabilité ou plus simplement de repérage des besoins dans ces quartiers.
L'idée phare de TZCLD, c'est de mobiliser les compétences existantes pour répondre aux besoins non satisfaits et non couverts par le marché, à l'aide de l'argent qui est déjà dépensé.
Les fonds mobilisés contribuent au financement de salaires (à minima au SMIC) dans le cadre de contrats en CDI à temps choisi pour tout demandeur d'emploi de longue durée qui en fait la démarche. Cela renverse complètement la donne par rapport aux durées limitées et aux sous-rémunérations généralement proposées aux demandeurs d'emplois dans le cadre du marché du travail ou des mesures publiques traditionnelles. On propose aux personnes de s'inscrire dans une logique digne et durable, sans contrepartie autre que leur investissement à la création de valeur dans le quartier. C'est assez incroyable pour les personnes, certaines n'y croyaient d'ailleurs pas au départ, et cela créé un enthousiasme collectif assez exceptionnel qui engendre un excellent climat de travail au sein de l'Entreprise à But d'Emploi (EBE) où sont exercées les activités des personnes.
Concrètement, comment se passe l'expérimentation sur le territoire de la MEL ?
L'adoption de la loi d'expérimentation territoriale de février 2016 a permis de retenir 10 territoires expérimentaux à l'échelle nationale, dont la MEL, qui constitue un des 3 territoires urbains, avec la particularité d'avoir deux sites d'expérimentations, en quartiers prioritaires de la Politique de la ville :
-le quartier des Oliveaux (7000 habitants) à Loos,
-le quartier du Petit Menin (3000 habitants) à Tourcoing.
L'EBE « La Fabrique de l'emploi » a débuté son activité en juillet 2017, et elle compte aujourd'hui déjà 69 salariés dans les deux quartiers. C'est l'une des EBE qui compte le plus de salariés, ce qui est lié au cacractère urbain de notre territoire d'expérimentation.
Plusieurs activités sont développées, répondant aux besoins locaux, principalement dans l'accompagnement humain et la qualification de l'environnement, avec par exemple : une épicerie solidaire et du maraîchage urbain, de l'aide à domicile, un garage solidaire, de la réhabilitation énergétique de logements, ou encore la confection de meubles en cartons. Cette dernière activité est d'ailleurs un moyen pour certaines personnes de lancer ensuite leur propre entreprise, quand d'autres choisissent de rester durablement dans l'EBE.
Sur le territoire, l'expérimentation fait coopérer trois types d'acteurs au sein de La Fabrique de l'emploi :
-les collectivités territoriales (élus et techniciens) qui accompagnent la démarche ;
-les forces économiques, la Fabrique de l'emploi étant d'ailleurs présidée par le président de la CCI du Grand Lille, l'objectif étant de créer de la valeur en connivence avec le monde économique plutôt qu'en conccurence déloyale, de substitution d'emplois au secteur privé classique ;
-les associations et acteurs sociaux, qui jouent le rôle de médiateurs avec les candidats et habitants, qui les accompagnent pour mener à bien le projet.
La Fabrique de l'emploi est actuellement organisée en association. Un débat a lieu actuellement sur l'opportunité ou non de créer une SCIC, afin d'intégrer un quatrième collège d'acteurs : à savoir les habitants.
Quel est le rôle de la MEL et plus largement des collectivités au sein de cette expérimentation ?
Les collectivités ont un premier rôle d'animateurs du territoire, en tant qu'instances légitimes, car démocratiquement élues, pour rassembler les acteurs nécessaires à la réalisation de ce projet (entreprises, associations, publics concernés, institutions…).
Je préside le comité métropolitain (qui se décompose en deux collectifs locaux), qui à côté de l'EBE en charge de l'activité économique, a la responsabilité de rassembler les acteurs, d'étudier les activités qui seraient pertinentes, et de valider les candidatures des personnes au titre de leur droits.
Les collectivités interviennent également en tant qu'auteurs de la commande publique et de l'aménagement du territoire, certaines commandes publiques pouvant être attribuées à la Fabrique de l'emploi, notamment pour faire évoluer l'aménagement des quartiers prioritaires.
La MEL soutient également le dispositif de recherche/évaluation associé à la démarche TZCLD, puisque la Chair'ESS, soutenue dans le cadre du plan ESS de la MEL, fait partie de l'équipe d'évaluation.