Entretien avec Odile Kirchner, déléguée interministérielle à l’ESS
Moins de 6 mois après la (re)création d'une délégation interministérielle à l’économie sociale et solidaire, Odile Kirchner fait un point pour le RTES sur ses missions, les chantiers prioritaires et sa vision du rôle des collectivités. Odile Kirchner est déléguée à l’ESS, auprès du directeur général du Trésor, depuis le 23 décembre 2015.
Pouvez-vous nous décrire vos missions et les moyens dont vous disposerez?
La re-création d’une délégation interministérielle à l’économie sociale et solidaire à part entière par le décret du 11 décembre 2015 vient compléter les outils et les leviers de développement mis en place par la loi relative à l’ESS dans l’objectif du changement d’échelle impulsé par la Ministre Madame Pinville.
Je ne dispose que d’une équipe propre très restreinte et c’est donc en m’appuyant sur un « réseau ESS » composé de référents au sein de chaque administration centrale concernée et de correspondants régionaux dans chaque préfecture de région et de départements d’outre-mer que je conduis ma mission. Je suis chargée d’assurer une coordination des différentes mesures de politiques publiques impactant les entreprises de l’ESS et d’en améliorer la synergie et la visibilité, de contribuer bien sûr à l’élaboration et à la proposition à la Ministre de mesures complémentaires qui s’avèreraient nécessaires. L’éco-système administratif que j’anime a aussi pour rôle au niveau local de suivre, en favorisant la transversalité entre les différents services de l’Etat, la mise en œuvre des politiques publiques au service des acteurs et des entreprises de l’ESS, et de contribuer avec les collectivités territoriales impliquées à l’émergence d’une véritable stratégie territoriale de développement de l’ESS.
Je suis également chargée d’assurer au nom des pouvoirs publics une concertation avec les acteurs et s’appuie pour ce faire notamment sur le Conseil supérieur de l’ESS, qui doit être un lieu d’intelligence collective, produisant au travers de ses commissions des outils communs mais aussi des réflexions prospectives et des recommandations utiles au développement de l’ESS.
N’oublions pas aussi la dimension européenne et internationale, avec l’objectif de contribuer à faire émerger une politique européenne de soutien à l’ESS.
Quels sont les chantiers prioritaires pour le développement de l’ESS ?
Quatre enjeux me paraissent centraux pour faire grandir les entreprises de l’ESS et favoriser l’ essaimage et la duplication sur tout le territoire des bonnes pratiques et des initiatives réussies :
-analyser les filières économiques porteuses dans lesquelles l’ESS dispose d’atouts et de compétences, identifier le potentiel de croissance d’activité et d’emplois, se doter d’une vision prospective partagée. L’ESS regroupe une grande diversité d’acteurs et est riche de multiples initiatives. Elle a tout à gagner à s’épauler pour élaborer en commun des visions à moyen terme sur lesquelles les entreprises de l’ESS pourront construire des stratégies de développement. C’est l’un des objectifs que s’est fixé le Conseil supérieur de l’ESS au travers de l‘une de ses commissions ;
-faire évoluer les modèles économiques pour accroitre la part des financements privés et mieux mobiliser les nouveaux leviers de financement : apports de fonds propres ou quasi fonds propres par les fonds d’investissements, privés, publics ou mixtes, qui sont de plus en plus nombreux à vouloir financer des actifs solidaires ayant un impact social (fonds d’épargne salariale notamment, mais pas seulement), titres associatifs, titres participatifs, investissements directs,financement participatif, participation de l’usager ou du bénéficiaire au financement de la prestation etc… L’ESS répond à un besoin croissant d’utilité sociale, au sens large donné par la loi, et apporte de nouvelles solutions à des défis sociaux, sociétaux ou environnementaux. Couvrir ces besoins, poursuivre leur expansion dans un contexte de contraction des financements publics, inscrire leur activité et leur développement dans la durée demande à de nombreuses entreprises de l’ESS d’accomplir cette transformation et, pour ce faire, de savoir dans certains cas se regrouper ou mutualiser des moyens et des compétences;
-tirer parti des opportunités de croissance de chiffre d’affaires et d’emplois pour de nombreuses entreprises de l’ESS à la suite de l’ouverture récente de tous les marchés publics aux clauses sociales et aux marchés réservés. Cela demande d’améliorer, sur tout le territoire, la visibilité des entreprises de l’ESS auprès des acheteurs publics, mais aussi des directions d’achat d’ entreprises privés soucieuses de déployer des politiques d’achats socialement responsables ;
-prendre le virage de la transformation numérique. Toutes les entreprises de l’ESS sont concernées, quels que soient leurs tailles ou leurs secteurs d’activité, bien sûr avec des moyens adaptés à la situation de chacune. Le numérique offre aussi des opportunités en terme d’innovations sociales ou sociétales. Innover et apporter des réponses nouvelles à des besoins sociaux fait partie des gènes de l’ESS ; elle a aussi une carte à jouer dans la French Tech !
Quel est votre vision du rôle des collectivités dans le développement de l’ESS ?
L’ESS est une économie qui agit dans la proximité, ce qui n’est pas contradictoire avec l’objectif de faire grandir la taille de ses entreprises. Plus que tout autre, elle a besoin de s’appuyer sur une stratégie territoriale de développement, concertée entre les pouvoirs publics, Etat, régions, communautés de communes ou métropoles et les entreprises de l’ESS représentées par les CRESS. L’organisation en 2016 des premières conférences régionales Etat – région – acteurs de l’ESS prévues par la loi de 2014 sera un temps fort de cette co-construction d’une stratégie partagée, ancrée sur les territoires, qui inspirera également le volet ESS des SRDEII prévu par la loi NOTRe.
Les collectivités territoriales jouent également, chacune dans leur champ de compétences, un rôle majeur dans l’émergence et le développement des entreprises de l’ESS : apports de subvention et de co-financements, parfois sous forme de fonds propres, commandes publiques, autorisations dans le cadre de prestations sociales, partenariats dans le cadre de PTCE ou de SCIC, soutien à l’innovation par la mise en place d’incubateurs ou de pépinières, dispositifs accompagnement … Elles sont au cœur du dynamisme sur un territoire de l’économie sociale et solidaire, qui représente pour certains d’entre eux plus de 25 % de l’activité et de l’emploi.