Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire

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Publié le 18 octobre 2019 - mis à jour le 21 octobre 2019

L’Atelier Paysan, pour la souveraineté technologique des paysans

L'Atelier Paysan est la plateforme francophone des technologies paysannes (bâtis, machines) : accompagnement au développement et à la diffusion de technologies pour une agroécologie paysanne, formation aux techniques de l'autoconstruction, dans une logique de réappropriation des savoir-faire paysans.Entretien avec Fabrice Clerc, co-gérant de l'Atelier Paysan. Article actualisé en octobre 2019 suite à une première version en janvier 2017.

Comment est né l'Atelier Paysan ?

En Rhône-Alpes, la rencontre entre des maraîchers biologiques et des conseillers techniques du Groupement d'Agriculteurs Biologiques « Adabio » a donné lieu à la création de l'association « Adabio Autoconstruction » en 2011. Celle-ci avait pour objectif de poursuivre la démarche entamée de recensement sur le terrain de bricolages paysans pour organiser une première formation à l'autoconstruction de matériel agricole, puis l'écriture en 2012 d'un « guide de l'autoconstruction » détaillant les plans de 16 outils adaptés au maraîchage biologique et inventés par des producteurs.

En 2014, Adabio Autoconstruction se transforme en SCIC « L'Atelier Paysan » afin de renforcer cette démarche de diffusion de savoir-faire paysans à une échelle nationale et s'ouvrant, au-delà du maraîchage, aux secteurs de la viticulture, de l'arboriculture et de l'élevage.

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Quelles sont aujourd'hui les activités principales de l'Atelier Paysan ?

L'Atelier paysan a accompagné ces dix dernières années l'émergence de 100 technologies paysannes innovantes, diffusées en licence libre sur notre site internet.

Nous encourageons des technologies agricoles low-tech qui font la part belle aux savoirs et savoir-faires plutôt qu'à la disruption technologique. Des technologies simples de conception et complexes d'utilisation, à haute densité de travail humain, qui ne font pas l'objet de brevetage mais qui relèvent des « communs ».

Nous développons quatre types d'activités avec premièrement de la recherche & développement participative de nouveaux outils, qui passe notamment par des tournées de fermes en fermes pour déceler des bonnes trouvailles de producteurs bio.

Ces tournées donnent ensuite lieu à une phase de diffusion des trouvailles via des fiches techniques, plans et tutoriels qui sont diffusés sur notre site internet, notreforum ou dans notre guide de l'autoconstruction après avoir été validés collectivement. Considérant que les savoirs paysans sont des « biens communs » librement diffusables et modifiables, ces informations sont publiées en libre accès.

Les formations à l'autoconstruction de matériels et de bâtiments agricoles constituent l'autre axe de cette phase de diffusion. C'est aujourd'hui l'activité principale de l'Atelier Paysan avec plus de 70 formations organisées chaque année dans toute la France. Ces formations sont accueillies dans des ateliers loués à des établissements d’enseignement agricole, tandis que l'Atelier Paysan dispose de 5 7 « camions-ateliers » équipés pour ses formations et pour sillonner la France. En une semaine de formation, un petit groupe de producteurs va fabriquer des outils agricoles qui auront été le support de cette formation, et repartir avec sur son exploitation. Le coût de ces formations est pris en charge par les fonds de formation des agriculteurs participants, l'Atelier Paysan étant reconnu comme organisme de formation.

L'Atelier Paysan développe également une activité d'achat groupé de matériels et accessoires agricoles pour rendre accessible à tous l'autoconstruction du matériel agricole, et notamment aux jeunes paysans qui s'installent et qui ont besoin d'outils à faible coût et qui disposent de peu de foncier.

L'Atelier Paysan fait partie du Pôle InPACT (Initiatives Pour une Agriculture Citoyenne et Territoriale) regroupant des réseaux qui souhaitent promouvoir une agriculture plus durable et proposer des alternatives concrètes aux agriculteurs sur leur exploitation. Le Pôle InPACT porte notamment un plaidoyer intitulé « Souveraineté technologique des Paysans : défendre l'intérêt général autour des agroéquipements. ».

Depuis 2019, l'Atelier Paysan est aussi commanditaire d'un programme de recherche « POLMA » (politiques de la machine agricole de 1945 à nos jours), s'intéressant de manière critique à la situation du machinisme agricole en France. La question des conséquences des technologies agricoles sur les systèmes de production a été jusqu'à présent négligée. Ce programme réunit une dizaine de chercheurs de 7 laboratoires de recherche.

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Chantier participatif de la future maison des technologies paysannes

Nous sommes actuellement en plein chantier participatif de notre future maison des technologies paysannes sur la ferme de Trevero dans le Morbihan, qui hébergera d'ici janvier 2020 notre antenne Grand Ouest, un centre de R&D et de formation, un espace d'experimentation et de démonstration.

Cette maison des technologies paysannes sera installée sur une ferme très capitalisée, technologisée et endettée qui produisait auparavant du lait conventionnel, et qui a été reprise grâce à l'appui de la foncière Terre de Liens, par deux associés, actuellement en conversion bio pour faire du poly-élevage en vente directe. Sans la participation de Terre de Liens, la reprise de cette ferme n'aurait été possible en conventionnel que par un nouveau regroupement / agrandissement d'exploitation agricole.

Ce projet représente un budget d'investissement de 800 000 euros, aujourd'hui financé par emprunt bancaire, l'appui de fondations partenaires et une prochaine campagne de financement participatif. Nous cherchons également le soutien de partenaires publics.

Comment s'organise la gouvernance de votre SCIC ?

Les sociétaires de l'Atelier Paysan sont répartis en 4 collèges, avec celui des 20 salariés de la coopérative (10 % des droits de vote en AG) ; celui des partenaires (avec 20 % des droits de vote) qui est principalement composé par des CIGALES qui nous apportent des fonds propres ; le collège des associations de soutien (avec 35 % des droits de vote), regroupant des associations de développement agricole alternatif aux chambres d'agriculture (réseau FNAB, espaces test-agricoles…) ; et le collège des paysans et fondateurs (avec 35 % des droits de vote). Nous réfléchissons actuellement à un élargissement de notre sociétariat et au passage d'un statut SARL à un statut SA.

En dehors de l'autofinancement via les formations et la distribution du guide, l'Atelier Paysan se finance également par le biais du fonds de dotation « Citoyens solidaires » . Le Ministère de l'Agriculture apporte également son soutien puisque l'Atelier Paysan est reconnu ONVAR, c’est à dire une tête de réseau national du développement agricole. Enfin, le Réseau Rural National apportent aussi son soutien à nos travaux.

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Plan de la serre mobile sur rail

En quoi l'Atelier Paysan participe à la résilience des territoires ?

Nous accompagnons les paysans à savoir concevoir, construire, réparer et utiliser au quotidien leurs machines agricoles, ce qui les amène nécessairement à devenir très résilients et autonomes. C'est une différence considérable avec le fait d'acheter sur catalogue une machine high tech sans savoir comment elle a été conçue.

De plus, notre accompagnement se fait toujours par groupes de producteurs, qui généralement ont en commun une filière de production et/ou un territoire, cela vient renforcer leur réseau et coopérations, et donc leur résilience.

Et puis, les technologies paysannes que nous développons sont toujours reliées aux territoires, aux communautés paysannes locales (paysans, artisans, …).

Quels sont vos perspectives et les liens que vous souhaiteriez développer à l'avenir avec les collectivités locales ?

Le secteur du machinisme agricole a été confié au secteur privé, avec l'appui des politiques publiques, en soutien du renouvellement continu de l'industrialisation de l'agriculture. Les subventions des Conseils régionaux au renouvellement et à la modernisation des machines agricoles pourraient plutôt venir financer les producteurs sur une autre approche, en subventionnant les savoir-faires, l'auto-construction et l'amélioration des outils de travail des paysans.

Nous souhaitons développer des partenariats avec les collectivités dans le cadre de notre projet de maison des technologies paysannes, mais aussi autour de nos formations en « résidence à la ferme », qui visent à former sur 5 jours les paysans et leur environnement immédiat (famille, amis, collègues, consommateurs, voisins...) à l'autonomie technologique pour assurer une communauté d'entraide à long terme autour de la ferme et ainsi apporter une garantie supplémentaire de résilience des outils de production.

Il serait également intéressant pour nous de travailler plus étroitement avec des communautés de communes et des agences de l'eau qui souhaiteraient limiter l'usage des pesticides sur leur territoire, qui viennent polluer les nappes phréatiques et coûtent cher en dépollution des eaux, comme l’a montré le récent rapport parlementaire sur Ecophyto. Elles pourraient financer des formations d'autoconstruction d'outils mécaniques de désherbage pour les producteurs de leur territoire.

Enfin, l'Atelier Paysan porte depuis 2015 une MCDR (Mobilisation Collective pour le Développement Rural) « USAGES » traitant de l'efficacité et des conséquences de l'innovation par les usages. Développée avec la FNCUMA, la FRCUMA AURA, La FADEAR, L'Interafocg, le Cirad et AgroParisTech, elle est reconduite en 2018 jusqu'en 2021 sous l'intitulé « Usager-e-s » avec Solidarité Paysans, Réseau CIVAM, le Reneta, GAEC et Sociétés, le réseau AMAP Île de France, l'Atelier des Jours à Venir, l'ADIR. Ce projet a aussi vocation à donner à voir aux collectivités des exemples concrets, de terrain, d'innovation par les usages, pour une prise en compte de ces aspects dans les politiques publiques de développement rural.

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Plus d'informations sur : www.latelierpaysan.org.

Le RTES est également lauréat de l'appel à projets MCDR 2018, avec le projet TRESSONS, co-piloté avec l'Avise, qui vise sur une durée de 3 ans (2018–2020), à analyser les conditions dans lesquelles l’ESS et l’innovation sociale peuvent constituer une solution durable aux défis des territoires ruraux, d’outiller les acteurs et de renforcer le maillage partenarial en milieu rural.

Photos: L'Atelier Paysan.