Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire

Arévalo Sicoval
Publié le 12 février 2016 - mis à jour le 18 février 2019

"L’ESS a un rôle fondamental à jouer pour que les nouvelles économies ne soient pas qu’un phénomène de mode" - Entretien avec Henri Arevalo

Avec un premier mandat débuté en 1989, Henri Arévalo se définit en souriant comme un « des élus les plus anciens en charge de l'ESS ». Il est l'un des fondateurs du RTES, dont il est aujourd’hui vice-président, et est conseiller communautaire en charge de l'ESS pour l'agglomération du Sicoval. Deux occasions de faire un point avec lui sur les chantiers menés sur son territoire, sur sa vision de l'ESS à l'échelle nationale et sur les défis que cette économie devra relever.

Quels sont les grands chantiers ESS que vous avez menés et que vous menez sur votre territoire ?

Mon premier mandat de conseiller municipal a débuté en 1989, mais je me suis intéressé à l'ESS en 1995, alors que j'étais maire adjoint en charge de l'emploi et de l'économie. Nous avons amorcé à ce moment-là un processus participatif avec un certain nombre de citoyens pour commencer à réfléchir et développer des activités autour de l'ESS. L'objectif : analyser la situation du territoire et définir les pistes de développement de l'économie sociale et solidaire sur notre commune. La démarche a pris de l'ampleur lorsque j'ai été élu à l'échelle de l'agglomération du Sicoval. Nous avons ensuite eu une phase « d'inspiration » : nous avons fait venir des personnalités de l'ESS, avons échangé avec des gens qui avaient expérimenté ailleurs... Je me suis également rapproché d'autres élus en France pour partager nos expériences et nos difficultés. C'est à ce moment là que s'est fait ressentir le besoin de construire un réseau de collectivités et que naissaient les prémices du RTES[1]. Sur ces bases, nous avons lancé plusieurs actions : IES (Initiative pour une Économie Solidaire), par exemple, une société coopérative à capital risque, qui affiche près de 2 millions d'euros investis et regroupe plus de 800 collaborateurs épargnants, ou l'ADEPES (Agence de développement et de promotion de l'économie solidaire) qui a impulsé le forum de l'ESS en Midi-Pyrénées. Et nous avons, en 2001, créé la maison de l'économie solidaire à Ramonville, un projet qui est progressivement devenu la base d'un projet de pôle de l'ESS devenu aujourd'hui pôle territorial de coopération économique (PTCE) : le Periscope.

Avec le recul, comment avez-vous vécu et vivez-vous ces différents projets ? Quelles sont les difficultés rencontrées?

Ces différents chantiers de coopération et ces opérations ont été conduits en ramant contre les courants et contre le vent ! Aujourd'hui, les résultats sont visibles, mais certainement en dessous de ce qu'on pouvait espérer il y a 20 ans. Paradoxalement, cette économie qui place la solidarité au cœur de la vie quotidienne, est peu soutenue par ceux qui placent cette même valeur au cœur de leur projet politique ! Cela est d'autant renforcé aujourd'hui car les collectivités sont dans une situation anxiogène. Nous subissons des chocs financiers très forts qui nous amènent à ne plus être aussi entreprenants qu'avant. Nous sommes en train de traverser une phase de restructuration de notre modèle économique global, qui nous oblige en tant que collectivité à optimiser et réadapter nos modèles d'intervention en direction des populations et sur les territoires. Alors que l'ESS fait partie de ces nouveaux modèles économiques à même d’apporter des solutions dans les territoires, notamment pour préserver des services aux populations, les moyens financiers et humains pour la soutenir sont difficiles à trouver. Même si nous continuons à expliquer qu'ils sont porteurs d'emplois et de solutions par rapport à la crise actuelle, le message ne passe pas encore.

En tant qu'acteur de l'ESS depuis plus de 30 ans, comment abordez-vous l'émergence des nouvelles économies, collaborative, circulaire … ?

Toutes ces économies ont des points communs. D'abord, leur intégration dans des logiques de préservation de l'environnement, de la planète, de développement durable. Ensuite, leurs dimensions humaines, de solidarité, de coopération, qui apparaissent plus ou moins fortement dans leur dénomination, mais qui sont toujours sous-jacentes. Lorsqu'on y réfléchit, ce sont des valeurs qui traversent l'ESS depuis de longues années. J'ai le sentiment que ces points communs, ces valeurs partagées, l'ESS en faisait déjà la synthèse. Le risque aujourd'hui est que l'économie sociale et solidaire apparaisse comme “ringarde” face à ces nouveaux concepts, parfois moins puissants idéologiquement, mais dont la modernité attire. Je pense qu'en tant qu'acteur de l'ESS, face à ce phénomène, il faut qu'on soit à l'écoute et en capacité de se remettre en question. Prenons l'économie circulaire, par exemple. Ce concept connaît un retentissement grandissant depuis quelques années car elle fait écho à la dégradation écologique de la planète, au réemploi de matériaux... Ce que font bon nombre d'entreprises de l'ESS depuis de nombreuses années, sans pour autant s’afficher économie circulaire. On peut parfois avoir le sentiment d'être dépossédés de ce qu'on a promu, que nos valeurs soient réappropriées par d'autres. L'important est que les choses avancent. Et pour le coup, je pense que l'ESS a un rôle fondamental à jouer pour que ces nouvelles économies ne soient pas qu'un phénomène de mode. Et qu'elles puisent dans tout le travail qu'on a fait depuis des années pour modéliser, structurer, stabiliser leur organisation qui leur permettront de s'inscrire dans la durée et surtout s’inscrire avant tout dans le sens de la solidarité.

Vous êtes engagés dans le RTES depuis ses débuts. Comment percevez vous son évolution et quelles sont pour vous les perspectives du réseau ?

Il y a 15 ans, nous étions trois collectivités à la naissance du RTES ; aujourd'hui, nous sommes plus de 130. On ne peut être que fier du travail qui a été réalisé ! Même s'il y a encore du chemin à parcourir, notamment auprès des intercommunalités qui pourraient être beaucoup plus nombreuses à adhérer. 15 ans, c'est peut-être aussi le moment de refaire le point et de réadapter notre positionnement dans une société en mouvement. Est-ce que le RTES ne doit pas devenir justement l'espace des économies nouvelles ? Cela éviterait le risque que, pour chaque nouveau concept, naisse un réseau de collectivités, alors que les activités relèvent de logiques économiques qui ne sont pas très éloignées les unes des autres. Je pense qu'il y a un chantier à mener pour explorer un rapprochement fort avec le développement durable par exemple, une réflexion commune pour redonner de la force à notre projet économique. L'ESS s'inscrit dans l'enjeu de laisser une planète vivable et viable. Elle est sans nul doute l’économie pour les générations futures ; parce qu’elle est déjà solidaire des générations futures et parce que c’est autour de ce modèle économique que celles-ci trouveront des réponses à leur bien être et au vivre ensemble. L'ESS c'est finalement presque l'économie du développement durable.