Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire

Publié le 11 mars 2016

"L’ESS porte une autre façon d’entreprendre qui s’interroge sur la qualité de l’emploi" - Entretien avec Annie Berger

Militante de l’économie sociale et solidaire depuis de nombreuses années, Annie Berger a été conseillère municipale déléguée à l’ESS de la ville de Caen de 2008 à 2014. Elle a rejoint en 2015 le Conseil d’administration du RTES au titre de personne qualifiée.

Cet entretien revient sur son implication dans l'expérimentation "Territoires zéro chômeur de longue durée" en Normandie, sur les actions engagées à Caen, et aussi sur ses réflexions sur la qualité de l'emploi et les actions à mener par le RTES.

Le 30 mars prochain aura lieu à l’Assemblée Nationale une journée d’étude et de mobilisation sur l’expérimentation “Territoires zéro chômeurs de longue durée”, suite au vote de la loi (voir l'article à ce sujet). Pouvez-vous nous présenter la démarche engagée en Normandie, que vous accompagnez ?

Je suis très intéressée depuis ses débuts par le projet initié par ATD Quart Monde. Dès que le vote de la loi d'expérimentation semblait acquis, l'ARDES, l'association régionale pour le développement de l'économie solidaire en Basse-Normandie, dont je suis membre depuis longtemps, a cherché à repérer un site possible d'expérimentation en Normandie. Nous avons identifié la commune de Colombelles, très touchée par le chômage de longue durée et qui est en politique de la Ville, mais qui suit aussi une dynamique de revitalisation économique, avec l'arrivée de start-up dans sa zone industrielle. A la suite de débats, nous avons réussi à convaincre le Conseil Municipal et à avoir le soutien de responsables politiques (députés, nouveau vice-président à la politique de la Ville de la Région) de diverses tendances politiques. Nous avons également fait une demande à la Fondation de France, comme les autres sites d'expérimentation, pour qu'elle soutienne l'année d'ingénierie préalable à la mise en œuvre de l'expérimentation et nous devrions commencer la recherche des emplois et la mobilisation des chômeurs début mai.

Caen a connu une alternance politique en 2014. Comment voyez-vous la pérennité des politiques de développement de l’ESS à Caen ?

Tout d'abord, il faut rappeler que lorsque je suis devenue élue en 2008, c'était la première fois qu'une politique en faveur du développement de l'ESS était mise en œuvre à Caen et au niveau de l'agglomération Caen-la-mer. Il a fallu quatre bonnes années pour que cette politique prenne réellement forme. Depuis 2014, la délégation à l’ESS de la ville de Caen est assurée par Sophie Simonnet. Sophie Simonnet a d'emblée cherché à travailler avec moi, à partir de ce que nous avions tenté de structurer durant le dernier mandat, dans un très bon climat d'entente et de compréhension. Elle a choisi de soutenir fortement le développement de la 1ère régie de quartier sur l'agglomération de Caen, qui avait mis quatre ans à naître, et de soutenir une démarche engagée depuis 2008, pour rendre visibles les initiatives de commerce équitable et de consommation responsable sur Caen. En revanche, le groupe de travail d'acteurs de l'ESS qui se réunissaient au moins une fois par trimestre pour définir les grands axes de notre politique n'a pas été pérennisé.

Vous vous intéressez de près à la qualité de l’emploi dans le secteur de l’ESS. Quels en sont d'après vous les enjeux ?

Je pense qu'il faut s'interroger sur l'évolution des tâches professionnelles, dans le contexte d'une recherche toujours plus importante de rentabilité aussi bien dans le secteur privé que dans la fonction publique. Il faut se demander quelles sont les conséquences de cette recherche effrénée sur la qualité de vie et les conditions de travail. Regarder également comment évolue le rapport au travail dans un contexte où les nouvelles offres d'embauches sont souvent en contrats précaires, sur des missions courtes. A ce titre, il faut changer de regard sur l'ESS qui ne doit pas être simplement jugée à la hauteur du nombre d'emplois créés ou réduite à l'insertion par l'activité économique. L'ESS porte en elle une autre façon d'entreprendre qui ne vise pas la création d'emplois à tout prix mais qui prend aussi en considération le contenu des activités des travailleurs et qui s'interroge sur la qualité de l'emploi. Elle porte aussi une autre façon de développer des activités y compris non-monétaires.

Vous êtes investie depuis plusieurs années au sein du RTES. Comment voyez-vous le rôle du RTES dans les années à venir ?

Ce n'est pas aux élus ou aux municipalités de créer des activités, des services monétaires ou non-monétaires, mais aux acteurs économiques et à la société civile. En revanche, il revient aux élus la responsabilité d'être les animateurs d'un débat public, d'encourager les initiatives citoyennes et de prendre des décisions dans une démarche de co-construction avec les acteurs et de décloisonnement entre les services. Il me semble donc très important que le RTES aide les élus à s'outiller sur la conduite de leurs politiques publiques par la mise en place de formations ou de journées d'échanges de bonnes pratiques sur les démarches de co-construction et de transversalité. Les élus, qu'ils soient adhérents au RTES ou non, devraient y être davantage présents, et pas seulement des élus à l'ESS mais aussi d'autres secteurs.

Le RTES doit également continuer de faire avancer notre vision de l'ESS au niveau européen, là aussi sur la base d'échanges de bonnes pratiques entre élus. L'ESS reste beaucoup plus développée en France que dans le reste de l'Europe. L'ESS est aussi très importante à promouvoir dans le cadre de la solidarité internationale, elle participe à montrer l'interdépendance entre notre modèle de développement et ce qui se passe sur la scène mondiale. Par exemple, il me paraît important de renforcer les échanges avec la Tunisie, pays en transition démocratique. Avec une association que nous avons créée en Normandie - LAPAT : Les Amis du Printemps Arabe et de la Tunisie, après la révolution, nous avons multiplié les échanges entre associations culturelles et de l'ESS. Et un grand chantier s'ouvre pour la préparation des futures élections municipales en Tunisie!

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