Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire

Publié le 10 avril 2013

Le renouveau coopératif de l’éducation populaire : contre-pouvoir et émancipation

Associant les aspirations de l'éducation populaire et les statuts de la coopérative, les scop d'éducation populaire, lancées par la scop le Pavé à Rennes, renouvellent en profondeur l'animation socio-culturelle telle qu'elle s'applique au développement social de quartier, aux politiques jeunesse, à l'action culturelle ou à la participation des habitants. Organismes de formation et de conseil ancrés dans l'expérimentation, le mouvement social et l'action politique, elles répondent aux sollicitations toujours plus nombreuses des collectivités, des réseaux associatifs et des fédérations d'éduc-pop qui veulent dépoussièrer leurs dispositifs publics ou leurs instances. Rencontre avec Pablo Seban de la coopérative du Vent Debout à Toulouse.

Vous avez accompagné une commune et un conseil général dans la refonte de leur politique jeunesse. Comment avez-vous travaillé ? Nous avons en effet accompagné Oloron-Sainte-Marie et le conseil général des Landes dans leur réflexion. Mais avant d'intervenir, nous nous sommes assurés de l'envie sincère de ces institutions de s'interroger sur leurs politiques et de faire évoluer les dispositifs en place. Nous ne voulions pas produire un rapport de plus. Nous avons donc répondu à cette commande en tant que « non-experts » et catalyseurs des réflexions collectives du terrain. Notre intervention était conditionnée à la disponibilité des élus. Disponibilité concrète en temps mais également en esprit: étaient-ils prêts à se remettre en cause, à ouvrir des espaces de contre-pouvoir ? Notre prestation proposait une document.jpgalternance de réunions publiques, de groupes de travail thématiques et de temps d'immersion informels et se concluait - malgré nos réticences – par l'incontournable rapport final.

Quel effet a produit votre intervention sur ces institutions ? Même si les élus n'ont pas réussi à se rendre complètement disponibles à la démarche de transformation, nous avons constaté qu'ils souhaitaient du débat politique autour de ces politiques publiques qui tendent à être considérées d'un point de vue uniquement technique. De leur côté, les salariés des collectivités ont pu faire part de la frustration générée par les contraintes hiérarchiques et administratives de l'institution qui brident une bonne part de leur autonomie et contraignent les initiatives. Dans ce contexte, ils constatent qu'ils perdent progressivement le contact avec le terrain, ce qui rend plus difficile la réalisation de leur mission. Au final, nous aimerions voir certains groupes de travail se pérenniser, par exemple sur un mode de recherche-action, pour leur permettre de continuer à interroger leurs pratiques professionnelles, d'installer des démarches de co-décision ou de créer des espaces d'expérimentation, aménageant ainsi des marges de manœuvre pour les techniciens.

document.jpgQuel bilan tirez-vous de cette expérience ? Ça n'a pas été facile, bien sûr ! L'implication sincère des élus reste insuffisante. Il est temps qu'ils sortent d'une posture qui les oblige à tout savoir ou à le faire croire. Construire collectivement, c'est savoir laisser la place au doute, à l'incertitude, à l'expérimentation. Notre intervention crée des envies parmi les équipes sur le terrain et si elles ne sont pas relayées par la hiérarchie et les élus, alors on produit plus de frustration que d'émancipation. Malgré tout, on espère avoir fait bouger les lignes, j'ai confiance dans les chefs de service qui ont fait appel à nous, ils ne souhaitent pas que nos propositions finissent dans un placard.

Quel regard portez-vous sur les politiques « jeunesse » ? Nous sommes des défenseurs des processus d'émancipation des jeunes contre les politiques actuelles d' « insertion ». Les dispositifs d'insertion, comme les aides au logement ou à la mobilité des jeunes ne sont pas mauvais en tant que tels mais ils ne sont pas suffisants. Une politique à visée émancipatrice permet de s'affirmer, de revendiquer de nouvelles formes d'organisation et de faire naître des espaces de contre-pouvoir indispensables à la dynamique d'une société. Les élus doivent encourager ces démarches de construction collective de contre-pouvoir productif. Je pense par exemple à Terre de Liens, cette structure peut à la fois critiquer les politiques foncières d'une collectivité et lui apporter des solutions techniques pour favoriser le développement des circuits courts et la préservation de terres agricoles face à la pression foncière.

document.jpgComment est née la coopérative du Vent Debout ? La scop est née de la rencontre d'un groupe de toulousains militants, pour certains venant de l'éducation populaire institutionnelle et de la Scop Le Pavé. En plein développement de son activité, celle-ci refusait des propositions de travail pour maintenir son effectif à 9 salariés, c'est-à-dire la taille limite pour son fonctionnement autogéré. Avec leur accompagnement, nous avons engagé un essaimage de leur modèle coopératif autogéré: un statut de scop, des prises de décision collectives, un organigramme horizontal, l'égalité de salaire, la non spécialisation des postes... Une assemblée générale « permanente » en quelque sorte. Le démarrage a été rapide : avec un an et demi d'existence, nous comptons 5 salariés-associés et nous nous réapproprions au quotidien l'outil que nous avons créé, en apprenant à nous connaître.

Quelles sont vos activités ? Nous sommes à la fois entrepreneurs du spectacle quand nous proposons nos conférences gesticulées suivies d'ateliers ; organisme de formation quand nous accueillons des salariés en stage de déformation continue ; et cabinet de conseil quand nous accompagnons des associations ou des collectivités locales. Nous découpons ainsi nos champs d'activités mais pour toutes nos interventions, l'objectif est le même : ouvrir des espaces d'expression incarnés, libérer la parole, remettre du politique et du débat dans les pratiques professionnelles.

document.jpgEn quoi le statut coopératif permet de ré-inventer l'éducation populaire ? Les militants associatifs que nous sommes avaient besoin d'un nouveau modèle qui nous permette de sortir de la subvention et des discours contraints qu'elle peut produire. Notre propos, que nous souhaitons subversif, s'accorde mieux à la vente de prestations. Si l'on fait appel à nous, on sait ce que l'on « achète ». La subvention crée une dépendance que notre façon de travailler ne peut supporter. Nous avons par exemple la liberté de ne pas définir à l'avance les résultats attendus de notre intervention, ce qui nous semble être l'un des principes forts de l'éducation populaire. Nous sommes ainsi cohérents avec notre critique de la méthodologie de projet qui pousse à s'inscrire dans le cadre fixé par le financeur et à suivre ses recommandations. De plus, le statut coopératif donne aux salariés la maîtrise de la gestion, de l'organisation et des orientations de leur outil de travail. Tout cela suscite de l'enthousiasme mais nous n'affirmons pas pour autant avoir trouvé la recette miracle.

Pour en savoir plus sur la coopérative du Vent Debout, c'est ici, et pour la Scop Le Pavé, c'est par là.