Microstop, l’appli qui connecte vos pouces
Expérimentation pionnière en France, Microstop propose de créer un moyen de transport collectif permettant aux automobilistes de valoriser les places disponibles dans leur véhicule sur des courtes distances, notamment grâce à une application smartphone dédiée. Conçu après une longue période de recherche et de développement, ce service est aujourd'hui actif en phase test dans le Nord des Hauts-de-Seine, territoire « laboratoire » de Microstop, et commence à essaimer dans le Nord de la France. Entretien avec Frédéric Sarkis, président de Microstop 92.
Pouvez-vous nous présenter le projet Microstop ?
Microstop, c'est un système de facilitation du covoiturage sur des courtes distances, autrement dit un outil pour pratiquer le stop connecté. L'objectif est de réduire le nombre de voiture en circulation. Concrètement cela se traduit par une appli de mise en relation des passagers et des conducteurs, et une association pour travailler le changement culturel.
D’où vous est venue cette idée ?
Au départ, nous sommes trois voisins partageant des valeurs militantes et écologiques et les constats suivants :
- l’ « autosolisme » - le fait de conduire sa voiture seul - se révèle la pratique dominante parmi les différents moyens de déplacement choisis par les français. En Île-de-France, on est à 1,05 occupant par voiture pour les déplacements domicile - travail. Avec les conséquences que l’on connaît sur l’ environnement, la santé, les accidents de la route, les embouteillages, les coûts financiers pour les ménages...
- Les transports en commun ne parviennent pas à fournir une réponse entièrement satisfaisante à la problématique de la mobilité. Certains quartiers restent mal desservis par les transports en commun, et en dehors des zones denses, la consommation énergétique des transports en commun type bus ou trains thermiques peut être beaucoup plus importante en moyenne que celle de la voiture. Par exemple dans certaines régions, on constate une consommation moyenne de 12 litres de carburant par 100 kilomètres et par voyageur sur plus de la moitié des lignes de transport !
- il existe beaucoup d’initiatives collaboratives dans d’autres domaines, comme l’agriculture ou le bâtiment, mais peu concernant la mobilité. Les évolutions technologiques permettront sans doute d’avancer sur les questions de mobilité, mais nous sommes convaincus que cela ne se fera pas sans une transformation des usages. C’est sur cette partie que l’on a voulu travailler avec Microstop.
Que propose l’appli « Microstop » ?
L'application est disponible aujourd'hui sur android et prévue courant novembre sur IOS. En tant que passager, je peux visualiser sur une carte les trajets disponibles en temps réel et ceux programmés à l’avance. Je peux accéder aux avis laissés sur les conducteurs et envoyer une requête à celui qui me correspond. En tant que conducteur, je récupère des points en fonction du nombre de kilomètres parcourus, que je peux utiliser lors d’un futur trajet en tant que passager, ou convertir en carte essence, à hauteur de 10 centimes d’euros le kilomètre. L’argent ne vient pas rémunérer un service, mais rééquilibrer les échanges. L’appli propose diverses fonctionnalités comme le type de radio écoutée par les voyageurs, ou encore le logo « communauté d’usage » (voir plus bas). Mais notre projet ne se résume pas à l’application numérique. Nous envisageons l’appli comme un outil parmi d’autres au service de notre objectif qui est de promouvoir l’utilisation partagée des voitures sur des courtes distances.
Sur quels autres outils vous appuyez-vous ?
Le numérique a des avantages certains : il est sécurisant, grâce à la possibilité de laisser un avis sur les conducteurs et passagers, il permet d’afficher une carte des conducteurs et des passagers en temps réel et de façon programmée, et peut aussi être une façon de valoriser les « communautés d’usage » existantes. Mais il est plus ou moins pertinent selon le contexte, et ne suffira pas à changer les comportements en matière de mobilité. Il nous est arrivé de relever les informations sur papier, et de mettre nous-mêmes les personnes en relation, avec leur accord. Nous concevons l’appli comme venant en complément d’un travail de terrain, d’aménagements de l’infrastructure, de services publics déjà existants ou de nouveaux services associés, comme des stations Microstop et des lignes de covoiturage haute fréquence par exemple… A Puteaux, nous avons inauguré en septembre dernier des « points stop ». Pour l'instant, les usages sont à leurs prémices mais nous commençons à installer quelques balises dans le paysage. Ça viendra. On compare ça avec la situation concernant le compost ou le recyclage des ordures. Il y a 10 ans, très peu de gens triaient leurs déchets. Aujourd’hui, c’est rentré dans les mœurs.
Qu’est-ce que cette « communauté d’usage » dont vous parliez tout à l’heure ?
On considère que toutes les personnes qui se rendent sur un même lieu de travail, ou qui utilisent un même équipement culturel ou sportif , représentent une « communauté d’usage ». Puisque Microstop ne concerne que des courtes distances, le fait de partager sa voiture ne génère que des très faibles revenus, insuffisants pour constituer en soi un levier à l’utilisation de Microstop. Il nous fallait trouver d’autres leviers, et la dimension de communauté nous a semblé en être un essentiel. Non seulement pour l’aspect pratique, parce qu’il y a une destination et des horaires communs, mais aussi dans le rôle qu’elle peut avoir concernant l’incitation au changement de comportement, grâce aux liens de confiance. On l’a traduit dans l’appli par un logo « communauté d’usage » : les utilisateurs peuvent rentrer un code communauté, qui leur permet, lorsqu’ils se connectent, de voir tous les utilisateurs de leur communauté signalés par un logo commun. Ils voient aussi tous les autres bien sûr. Notre objectif est plutôt de parier sur la mixité, donc d’inciter les gens à sortir de leur communauté, plutôt que de les y enfermer. Nous travaillons aussi sur les communautés d’axes.
Un exemple ?
Nous avons par exemple travaillé avec la Ville de Gennevilliers autour de l’accès à la mosquée. La mosquée de Gennevilliers fonctionne bien, elle accueille des personnes de tout le nord de l’agglomération. Jusqu’à 5000 personnes simultanément en période de Ramadan. Mais il n’y a pas assez de places de stationnement pour accueillir les centaines de voitures qui font le déplacement. Nous avons testé Microstop avec la communauté des personnes se rendant à la mosquée pendant le mois du Ramadan 2016. L’expérience a été concluante : 450 personnes se sont inscrites , soit environ 15 % des gens de la mosquée. On a beaucoup appris de cette expérience : sur le potentiel de la communauté, et sur les usages. Par exemple, le fait que l’affichage en temps réel seul ne suffise pas nous a poussé à développer aussi la programmation horaire des trajets proposés.
Comment s’est passé le montage du projet ?
Nous avons répondu fin 2014 à l’appel à projet ESS des Hauts-de-Seine, et nous avons été sélectionnés : nous avons obtenu 150 000 euros du Département, 100 000 de fonctionnement et 50 000 d’investissement. Cela nous a permis de financer l’amorçage du projet. Nous avons monté une association - Microstop92, et une start-up numérique - Objectif Carbone Mobilité - qui développe l’appli. Les deux entités fonctionnent de façon distincte et ont chacune leur modèle économique.
Quels sont ces modèles économiques ?
Objectif Carbone Mobilité développe l’appli sur les fonds propres de ses associés (au nombre de 4), avec pas mal d’heures de travail bénévole ! L’idée est que microstop soit utilisé partout ou que certains territoires ou entreprises décident d'acheter en marque blanche l'application. La base de données restera unique, pour ne pas scinder la masse critique d'utilisateurs et permettre à chacun où qu'il soit de covoiturer de manière transparente avec les autres. Demain peut-être pourra-t-on imaginer un système plus global d'inter-opérabilité entre tous les opérateurs de covoiturage.. Nous avons répondu à un appel à projet de la BPI pour lequel nous sommes en attente d’un éventuel financement, mais globalement la partie numérique est assurée par nos investissements privés.
L’association fonctionne aujourd’hui grâce aux financements du Département, de la Fondation de France, et de mécènes privés. Le projet est en version test, l’utilisation de l’appli est gratuite et les cartes essence sont payées par l’association. On vise un lancement avec utilisation payante pour mi-2017. Cela pourrait être un abonnement mensuel de 3 ou 4 euros. A terme, nous imaginons que les revenus proviendront des prestations aux entreprises et aux collectivités. Nous n’avons pas encore pu développer cette partie car l’appli n’était pas disponible sur Iphone, mais c’est désormais le cas.
Quelles ont été vos relations avec les collectivités ?
Le Département nous a appuyé très fortement dès le départ. Le fait d’avoir touché 150 000 euros nous a permis d’avoir un an et demi de visibilité, et de nous développer en ESS. C’est ce qui nous a permis de trouver notre modèle économique.
Au-delà du financement, nous avons été régulièrement suivi et appuyé, notamment par Marie-Pierre Limoge, élue en charge de l’économie collaborative et par Stéphane Travert et les membres du service Entreprises et Innovation. Nous sommes toujours restés indépendants dans la façon de gérer notre projet, mais ils nous ont donné un vrai coup de pouce, en nous appuyant dans la communication autour de notre projet, et en nous faisant bénéficier de leur réseau. Ancien élu à l’ESS à Colombes, je connaissais un peu le paysage politique, j'avais monté plusieurs projets ESS dont certains avaient déjà été soutenus par le département à l'époque. Je pense que cela a contribué à notre crédibilité en tant que porteurs de projet.
Vous avez des liens privilégiés avec les acteurs des Hauts-de-Seine, vous évoquiez également les Hauts-de-France… Avez-vous la volonté d'essaimer ailleurs en France ?
Microstop est née à Colombes, c’est là qu’est implantée l’association historique, et c’est dans les Hauts de Seine que nous sommes le plus développés (Colombes, Gennevilliers, Puteaux, Courbevoie, Levallois et Nanterre), mais nous sommes en train de monter des partenariats avec d’autres territoires. Aujourd’hui, Microstop est aussi implanté dans les Hauts-de-France (nouvelle Région composée des anciennes Régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie), et a des projets de partenariats avec St-Omer, la Métropole de Lille, et l’université de Lille. Le projet commence à essaimer doucement, et à terme bien sûr, nous souhaiterions que le covoiturage de courte distance devienne un système de masse. Mais nous ne voulons pas aller plus vite que la musique. Nous constatons tous les jours à quel point les problématiques de mobilité sont spécifiques à chaque territoire et nécessitent un ancrage local.
Comment l'association est-elle structurée ?
Maintenant que le projet essaime, l’idée est de créer des antennes locales qui portent le projet sur leur territoire. Si on veut travailler sur des changements de comportements, cela demande du temps, de connaître le territoire sur lequel on veut développer cette pratique, et d’y être présent. On ne peut pas et ne veut pas piloter ça de façon centralisée. Aujourd’hui, deux associations existent, toutes deux en pleine croissance : MicroStop92, qui emploie 5 salariés et 4 services civiques, et Microstop Hauts-de-France, qui s’apprête à recruter son premier salarié. Aujourd'hui, on va créer un réseau microstop pour mutualiser les moyens entre les différents développeurs locaux. On réfléchi à une forme SCIC mais c'est encore trop tôt.
Vous parlez d'un service public « collaboratif », pouvez-vous nous en dire plus ?
Aujourd'hui, on a laissé une mauvaise habitude se prendre : un opérateur privé capte un besoin auquel le service public ne répond pas. C'est le cas d'Uber par exemple. Pour les utilisateurs, c'est perçu comme une vraie amélioration du service. Mais ces acteurs privés poursuivent leur propre intérêt et ne sont pas dans une logique de service public, qui nous paraît essentielle : garantir l’égalité d’accès au service, la continuité de service et la continuité territoriale. Nous souhaitons que demain, l’État, les collectivités, les AOM (Autorités Organisatrices de la Mobilité), les entrepreneurs et acteurs de cette mobilité rénovée puissent travailler ensemble. Cela pourrait se traduire par des DSP, (Délégation de Service Public) ou un rôle de conseil et d’appui aux collectivités. C'est ce que nous appelons « service public collaboratif ». Cela demande une forte volonté politique et une transformation des habitudes. On pourrait par exemple mettre en place une voie réservée aux voitures transportant au moins 2 personnes, en commençant par les périodes de pics de pollution. Cela permettrait d’amorcer le système.
Pour en savoir plus : www.microstop.org