Les débuts de l’ESS dans les marchés publics
Dans toutes les collectivités territoriales, grandes ou petites, les équipes élues s’efforcent de faire passer leurs engagements et valeurs dans le concret de leurs actions. Agir sur les marchés publics, 115 milliards d’euros chaque année, dont les 2/3 passés par les collectivités locales, en faire des outils vertueux contribuant au développement durable, au commerce éthique et solidaire et à l’insertion, ce changement spectaculaire n’est pas simple à mettre en oeuvre. Pour dépasser une application cosmétique, ou des impasses judiciaires, il faut à cette démarche de transformation, en plus des bonnes intentions, de la technicité car la matière est juridique, de la créativité et de la ténacité, car les enjeux sont conséquents et les routines tenaces. Bref tour de France des initiatives en cette matière.
La ville de Saint-Denis (93.000 ha) s’est engagée dans une programme d’intégration des préoccupations environnementales et solidaires dans les marchés publics, après les élections municipales de mars 2001. Ce programme, qui s’inscrit dans une démarche de verdissement de l’administration, a été mené en partenariat avec le Ministère de l’écologie et l’association des « Eco-maires » et s’est traduit par la mise en place d’un module de formation pour les acheteurs publics.
Des clauses environnementales et solidaires ont été introduites dans les marchés bois, prestations de traiteurs, portage de repas à domicile, fournitures scolaires, mobilier urbain, papier, fournitures de bureau.
Aujourd’hui, ce programme est à un point charnière. Il s’agit parfois de passer d’un « habillage éthique » des cahiers des charges, à une véritable analyse des critères environnementaux et solidaires, le verdissement des marchés papiers et prestation de traiteur illustrent cette conjugaison de la responsabilité environnementale et sociale de la commande publique. A l’achat de papier recyclé s’ajoute le tri sélectif des déchets de bureau et la collecte du papier par les employés d’un Centre d’Aide par le Travail. Les prestations traiteurs, à base de produits issus de l’agriculture biologique et solidaire, sont assurées par une SCOP.
A Lille, le réflexion sur les marchés s’est déroulée entre l’ensemble des 4 élus concernés (insertion, agenda 21, international et économie solidaire) avec l’appui de la présidente de la commission d’appel d’offres afin de mener une politique concertée et articulée à l’égard de l’ensemble des champs d’application des clauses retenues.
Clauses-combat
Champigny/Marne, autre commune du sud de la banlieue parisienne, a signé, pour sa part, en juin 2002, l’appel « 500 villes s’engagent pour le commerce équitable » initié par Max Havelaar France qui l’engage à favoriser la consommation de produits issus de cette filière au sein des services publics et à mettre en œuvre des actions de sensibilisation et d’information auprès des employés communaux et des citoyens.
De même une coordination des services municipaux mise en place dans une démarche inspirée du collectif « De l’éthique sur l’étiquette » vise à proposer aux fournisseurs de s’assurer que les produits qu’ils vendent sont fabriqués et distribués dans le respect des droits sociaux fondamentaux notamment au travers du refus du travail forcé et de l’exploitation des enfants.
Mais à Argentan, dans l’Orne, (16000 habitants) une clause éthique, partie des mêmes prémisses, peine à s’appliquer. Inutile pour les réceptions pour lesquelles la Ville traite directement avec des acteurs de l’agriculture bio, Normandie oblige, et du commerce équitable, elle s’avère trop large pour encadrer vraiment et légalement les achats de la commune.
Le « mieux-disant » social (enfin) sur les rails
Dans l’agglomération grenobloise, Ils étaient trente fin 2003 à devoir leur embauche à une clause de «mieux-disant » social appelée ici clause« Emploi-Grands chantiers », il devrait être 200, fin 2004. L’équation est simple : 200 millions € de travaux, soit l’enveloppe affectée par la Métro aux grands travaux en cours sur l’agglomération (nouvelle ligne de tramway, Grand stade) c’est 200 contrats d’insertion sur un an au sein des entreprises attributaires de ces marchés.
Enseignés des échecs de leur prédécesseur de la Communauté urbaine de Strasbourg (CUS), la clause dite de « mieux disant social » avait été jugée illégale quelques années auparavant dans le cas des travaux du métro de Strasbourg, et aidés des nouvelles dispositions du code des marchés publics (décret du 9/09/01), en particulier les art. 14&30 qui précisent des notions hier encore floues, validée enfin par le contrôle de légalité préfectoral, la clause «Grands chantiers » a commencé de vivre sa vie. Elle commence même d’essaimer au sein d’autres marchés dans l’agglomération, et vers d’autres territoires, on a repéré ainsi sa présence à Nice ou à Lyon.
Mais au-delà, voire en de-ça, de la clause, c’est l’ensemble d’un dispositif qui passe par la construction d’un partenariat local, voire d’un climat social favorable, qui est à prendre en compte. En effet, même solidement arrimée juridiquement, la clause « Grands Chantiers » n’aurait pu donner tous ses effets sans un environnement adéquat , celui constitué par la Charte Insertion/Emploi contresignée au printemps 2002 par l’ensemble des collectivités territoriales et les chambres consulaires iséroises (CCI, CdM) et sans l’existence d’un outil dédié, la cellule opérationnelle « Emploi-Grands Chantiers » portée conjointement par la Métro et l’Anpe. La cellule entreprend en amont des chantiers de recevoir, détecter, et éventuellement former les bénéficiaires de la mesure d’insertion.
Si tous ne la pratiquent pas encore, beaucoup sont intéressés, et Maurice Burdin, son initiateur grenoblois* est amené à porter la bonne parole dans la région et au-delà. Il le fera ainsi, avec d’autres, à la demande du Réseau régional de la commande publique à Lyon, Romans et … Grenoble fin janvier.
A l’annonce de cette formation sur les clauses éthiques, sociales et environnementales, le réseau a reçu plus de 80 demandes d’inscriptions, d’élus comme de techniciens des collectivités, émanant des 3 villes.
Ce souci de formation, on le retrouve dans le Nord, dans l’agglomération lilloise, à Seclin comme à Lille.
Ainsi l’une des premières actions du PLDESS de Seclin porte sur la « Formation Technique relative à l’utilisation de la clause du mieux disant social dans les appels d’offre », cette formation, destinée aux élus et aux techniciens municipaux, qui démarre en mars 2004, a déjà fait le plein. Les villes intéressés bénéficieront d’une journée de formation initiale et d’un suivi personnalisé, assuré par Patrick Loquet, juriste spécialisé, animateur de Réseau 21, département d’économie solidaire de l’Université de Valenciennes.**
A Lille, cette formation existe depuis déjà un an, elle accueille élus, techniciens, et s’ouvrent aux entreprises pour que ces dernières intègrent bien les éléments demandés dans leur réponse pour éviter que des appels vertueux restent infructueux par défaut de réponses adéquates.
* contact : Maurice-Burdin – Cellule « Emploi-Grands Chantiers »
maurice.burdin-lametro@wanadoo.fr
** voir Le nouveau code des marchés publics et l'insertion sociale et professionnelle
Patrick Loquet, Maître de conférence en droit - Réseau 21
site reseau21