Réseau des collectivités Territoriales pour une Économie Solidaire

mcoppey
Publié le 8 avril 2020 - mis à jour le 9 avril 2020

Crise du Covid-19 : édito de Mahel Coppey, présidente du RTES

Je m'associe à l'ensemble de l'équipe et des membres du RTES pour adresser mon soutien à toutes celles et ceux qui se battent au quotidien contre le virus, soignants, malades, et l'ensemble des personnes qui contribuent à leur échelle à la solidarité collective, et mes sincères pensées à celles et ceux que le virus a déjà emportés et à leurs proches.

Une chose est sûre : notre vie quotidienne est profondément bouleversée depuis plusieurs semaines, que l'on soit salarié.e, entrepreneur.e, agent de la fonction publique, bénévole, enfant, parent, aidant, voisin, voisine, citoyen.ne tout simplement.

Quel regard peut-on porter sur ces bouleversements qui nous touchent toutes et tous dans l'urgence, et dont les répercussions nombreuses sont encore à venir ? 

Une priorité absolue, bien sûr : d’abord gérer l’urgence, tenir le choc et sauver des vies…Cette crise sanitaire bouleverse nos repères, nos habitudes et réinterroge aussi nos priorités individuelles et collectives, et notre capacité à ne laisser personne sur le bord du chemin dans la gestion de l'urgence.

Nous traversons une situation inédite, une situation devant laquelle nous ne sommes pas égaux : cette crise sanitaire creuse les inégalités sociales.

Comment rester solidaire des plus fragiles, malgré la “distanciation sociale” nécessaire ? Comment tenir le choc ? Personne ne doit être oublié et surtout pas les plus vulnérables d’entre nous. Comment poursuivre l’aide pour les plus précaires, malgré tout ?

Dans ce cadre exceptionnel imposé pour lutter contre le Covid-19, les collectivités, les associations et structures locales de solidarité se mobilisent pour s’adapter et lutter contre la précarité et l’isolement des plus vulnérables. Un bouillonnement d’initiatives et de mobilisation s’accélère à tous les niveaux, et de tous les côtés : collectivités locales, acteurs économiques, citoyens et citoyennes, et au 1er rang les structures de l'économie sociale et solidaire.  

Tout cela révèle notre capacité à nous adapter et mieux coopérer afin de déployer un formidable travail d’entraide « à distance ». « L’antidote » à ce virus et à cette épidémie se trouve probablement en grande partie dans la coopération. Ce confinement et cette distanciation sociale sont révélateurs de nos faiblesses, nos insuffisances, nos négligences collectives mais aussi de nos ressources, nos potentiels et nos essentiels.

Les acteurs et les réseaux de l'économie sociale et solidaire sont porteurs d'une grande partie de ces ressources dans les territoires et se sont montrés particulièrement efficaces dans la mise en place rapide et coordonnée de réponses à la crise : merci à eux qui, entre autres, organisent concrètement la distribution alimentaire en circuit-court du producteur au mangeur, assurent la continuité de l'aide sociale d'urgence pour les plus démunis, continuent chaque jour l'aide à domicile auprès des personnes âgées et isolées.

Au-delà de l'urgence, cependant, il ne faut pas s'interdire de prendre un peu de recul et de prendre le temps, surtout, dès maintenant d'envisager, de réinventer l'avenir. Quels seront les principaux enseignements de la crise du Coronavirus ?

Le premier enseignement, c’est que dans cette épreuve nous savons désormais qu’il est possible, en quelques semaines, de suspendre simultanément et partout dans le monde un système économique dont on nous disait jusqu’ici qu’il était impossible à ralentir ou à réorienter, et ce malgré un consensus plus ou moins général sur les mutations nécessaires à mener au regard des enjeux climatiques. 

L'électrochoc du Covid-19 serait-il finalement salutaire ? Il nous contraint en tout cas à revenir à nos fondamentaux, à comprendre qu’on est en train de changer d’ère, et qu’on ne peut pas continuer nos modes de vie sans les mettre en lien avec la limite des ressources planétaires et le défi climatique et environnemental. Le temps du gaspillage et de l’accumulation est terminé.

J’espère que cette crise achèvera de tous nous convaincre de l’absurdité d’un monde passé et dépassé. Celui-là même qui n’en finit pas d’épuiser les travailleurs, les travailleuses et les ressources de la planète. Bruno Latour nous dit « Cette pandémie, par le vide qu’elle crée, nous offre l’opportunité d’atterrir, de réfléchir à la guérison du monde et de faire advenir ce qui n’est pas encore avéré. Dans les pertes qu’elle génère et le gouffre (social, économique, financier, etc.) qu’elle crée se trouvent les conditions d’un profond renouveau. »

La dernière des choses à faire serait donc recommencer tout à l’identique, comme avant… non, ce n'était pas « mieux avant ».

Prenons le temps dans cette urgence, profitons du confinement pour tout réinterroger, nos habitudes alimentaires, nos modes de production, et le trop plein de nos sociétés de consommation. Le chantier est immense et passionnant. Il s’agit d’écrire ensemble la suite du monde.

La bonne nouvelle, c’est que cette « suite du monde » a déjà démarré et depuis longtemps avec l’économie sociale et solidaire.  Les questions de l'utilité sociale et écologique sont au cœur de l’ESS. L’ancrage territorial par la coopération des acteurs et des collectivités est aujourd’hui consacré par le retour en force de la légitimité des interventions publiques dans l’économie. Quelles perspectives peut-on alors dessiner pour le RTES ?

Dans l'urgence, d'abord, assurer un soutien sans faille aux acteurs de l'ESS pour qu'ils puissent tenir le choc et poursuivre leurs activités, absolument essentielles face à la crise du Covid-19.

Contribuer aussi, et dès aujourd'hui, à préparer l'après. Nous devons, ensemble, faire en sorte que cette crise soit réellement une opportunité pour réorienter profondément l’activité économique vers « ce qui compte vraiment », et répond à la justice sociale et à l'urgence environnementale.

Citoyen.ne.s, Etat, Europe, collectivités locales : chacun a un rôle majeur à jouer pour contribuer au développement d'un système économique coopératif et plus résilient.

L'ESS peut devenir le symbole et le moteur de cette économie hybride qui prend soin des territoires ; c'est un vecteur puissant car elle a défriché les questions des communs et sait comment prendre soin de notre intelligence collective.

C’est pourquoi le travail du RTES de mise en valeur des initiatives des territoires et de facilitation des échanges, de repérage des bonnes pratiques et d'alerte sur les signaux faibles, est plus que jamais nécessaire et sera poursuivi. Autour de quelques chantiers (place de l’ESS dans les territoires ruraux, contribution de l’ESS à la cohésion des territoires et entre territoires, cadre européen), autour de l’outillage des équipes municipales (pour celles déjà installées, et les prochaines) avec le kit MunicipalESS, le travail se poursuit. Nous vous tiendrons régulièrement informés de nos travaux et prochains rendez-vous en visio en attendant de pouvoir nous retrouver pour une grande édition 2020 de la Rencontre nationale des collectivités autour de l’ESS.