Economie informelle & ESS : l’enjeu de l’aménagement urbain, retour sur le webinaire du 1er mars 2023
Dans le cadre de ses travaux Économie informelle & ESS, le RTES explore les leviers d’action à disposition des collectivités territoriales pour accompagner la formalisation de pratiques informelles par et vers l’ESS. L’un d’entre eux est celui de l’aménagement urbain et du foncier. Retour sur le webinaire du 1er mars 2023 qui a rassemblé 70 participant.e.s.
Après deux années de travaux, le RTES va bientôt sortir une nouvelle publication de sa collection RepèrESS : "Economie informelle & ESS, enjeux et leviers d'action des collectivités locales", en partenariat avec l'ANCT. Intéressé.e.s ? Remplissez ce questionnaire pour avoir la chance de recevoir une version numérique du RepèrESS en avant-première !
(re)voir le webinaire
Marianne Cuoq, chargée de mission Développement Economique, Emploi et Insertion, ANRU
L’ANRU a été créée au début des années 2000 par loi Borloo qui crée le premier programme de rénovation urbaine des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Les projets urbains financés par l’ANRU sont des projets multi partenariaux qui rassemblent collectivités territoriales, bailleurs sociaux et acteurs locaux, et interviennent sur tous les aspects de la rénovation urbaine : habitat, équipements publics, commerces, développement économique, cohésion sociale, sûreté, santé, etc. Depuis quelques années, l'ANRU cherche à développer une approche de plus en plus innovante.
L’ANRU a ainsi créé les clubs ANRU + pour mettre autour de la table les collectivités et bailleurs sociaux qui portent des démarches innovantes, avec l’objectif de favoriser la levée des freins, créer des socles de culture commune et diffuser la culture de l’innovation. Cela a donné lieu à plusieurs publications, dont une sur le développement économique : ANRU, Les carnets de l'innovation - Développement économique et renouvellement urbain, 2021.
Une des thématiques portées dans ce cadre est celle de la valorisation des savoir-faire des habitant.e.s. A alors émergé le sujet de l’économie informelle.
Il ressort de ces travaux que le sujet de l’économie informelle a été très peu pris en compte lors des pré-diagnostics de réaménagements urbains (de 2014 à 2018), alors même qu’on sait que l’économie informelle est présente dans de très nombreux quartiers. L’ANRU a essayé de prendre en compte cette dimension suite à l’avis du Conseil National des Villes de 2019 sur l'économie informelle.
Les projets de renouvellement urbain sont ainsi identifiés par l’ANRU comme des opportunités pour intégrer les enjeux de l’économie informelle :
- ce sont des projets multipartenariaux qui permettent donc de rassembler les bons acteurs
- ils s’inscrivent sur un temps long (10-15 ans) et permettent d’avoir des projets d’action de long terme
- les projets d’aménagement urbain provoquent des délogements d’activités, ce qui bouleverse les réseaux d’acteurs mais permet aussi de faire ressortir les enjeux
- ce sont des projets qui permettent le repérage de foncier/locaux disponibles : souvent un levier bloquant du développement économique des quartiers
- ils permettent de penser et d’anticiper l’aménagement immobilier extérieur (lieu de pratique des activités informelles), sous un angle accompagnement
L’ANRU a par exemple accompagné les travaux menés sur Plaine Commune autour de la mécanique de rue (voir le webinaire dédié à cette démarche) et la démarche de formalisation d’activités, en s’appuyant sur le projet de réaménagement urbain, à Mamoudzou.
Anlaouia Abdou, directrice Innovation économique et sociale, Ville de Mamoudzou
La Ville de Mamoudzou a signé en 2020 une démarche de renouvellement urbain avec l'ANRU et ses partenaires et a développé en parallèle une stratégie de développement endogène pour inclure la population de Kaweni (quartier de Mamoudzou) dans le développement économique du quartier. A ce titre la ville a été lauréate de l’appel à projet d’investissements d’avenir.
De 2018 à 2019 une première phase a permis de définir les axes du projet :
- Développer un processus d’accès à l’emploi pour les populations de Kaweni vers la Zone d’Activités économiques de Kaweni
- Passer de l’économie informelle à l’économie formelle : favoriser le développement des circuits courts par l’ESS
- Intégrer l’investissement à vocation économique dans la conception du renouvellement urbain
En ce qui concerne l’axe 2, Passer de l’économie informelle à l’économie formelle : favoriser le développement des circuits courts par l’ESS, un premier travail important de diagnostic a été mené pour déterminer les filières prioritaires sur le territoire de Mamoudzou. 3 filières ont été identifiées : filière restauration rapide, filière agricole et filière sport.
Filière restauration rapide : Avec l’objectif d’accompagner les vendeuses de rue sur le village de Kaweni qui vendent des repas à la population et aux scolaires (pas de cantine scolaire à Mamoudzou). Sur cet axe qui porte des enjeux de santé publique, de qualité nutritionnelle et de retour à la dignité des vendeuses de rues, la ville de Mamoudzou a obtenu un financement du Ministère des Outre-Mer pour la production de repas à destination de publics en dénutrition.
Dans un premier temps, un repérage des vendeuses de rue informelles et de leurs zone d’implantation a été réalisé. Les vendeuses ont été accompagnées pour s’immatriculer en tant qu’auto-entrepreneuses et un programme de professionnalisation a été développé avec les CEMEA et la CRESS. Un travail a été mené sur la structuration du groupement des vendeuses : création des statuts d’une association et lancement d’un AMI pour porter le projet de production et portage de repas au bénéfice de familles malnutries via une structure d’insertion par l'activité économique. Suite aux 3 années du parcours d’insertion, il est prévu d’accompagner les vendeuses à la création d’une coopérative.
En parallèle, 3 points de vente ont été créés dans l’espace public via la création de mobiliers urbains adaptés aux besoins. Le prototypage du mobilier a été confié à une structure de l’ESS de Mayotte (Likolidago) et à l’école d’architecture de Paris pour répondre au mieux aux besoins des vendeuses de rue. La création du mobilier a été confiée à des artisans de Kawéni.
Filière maraîchère : Dans le cadre du projet de renouvellement urbains, des maraîchers informels implantés sur un foncier appartenant au département de Mayotte ont été accompagnés à la formalisation de leur activité via des formations à la production et à la commercialisation et la sécurisation du foncier via la signature de convention de prêts à usage. Un projet de parc agricole, comme démonstrateur de pratiques agricoles mahoraises, est également prévu, avec l'objectif de lutter contre l’érosion et restaurer la fertilité des sols pour développer le caractère productif du site en favorisant l’insertion sociale des maraîchers implantés sur place. L’enjeu est de construire un modèle économique crédible pour la mise en œuvre, la gestion et le développement d’un parc agricole à Kawéni, en se basant sur les pratiques agroforestières et l’insertion par l’activité économique (IAE). Le parc agricole s’intègre dans la logique de développement des circuits courts engagée sur Kaweni, et plus largement à Mamoudzou.
Filière sport : Dans le cadre du projet de renouvellement urbain, il est prévu de créer sur la zone de Kaweni des équipements sportifs (gymnase…). Mamoudzou compte très peu d’encadrants sportifs diplômés, le projet consiste en l’accompagnement de 16 jeunes de Kawéni en formation BPJEPS, qui une fois formés et en attendant le développement des équipements sportifs, travailleront auprès d’associations identifiées de Kaweni qui avaient besoin d’encadrants sportifs.
Les clés de réussite de ce projet :
- une approche méthodologique : association des acteurs, diagnostic, identification des objectifs…
- des appuis techniques sur le modèle économique des solutions envisagées
- se sont appuyés sur les besoins des habitant.e.s
- partenariat fort entre acteurs institutionnels, monde des entreprises, acteurs de l’ESS et structures de terrain
William Champalaune, responsable d'opérations, Territoires publics Rennes et Alexine Malaoui, chargée de mission, TAg 35
Territoires Rennes est l’aménageur de la métropole de Rennes. Territoires Rennes porte un projet de renouvellement urbain sur le quartier Maurepas-Gailleul qui s’appuie à la fois sur des démolitions/constructions et sur des réhabilitations. Les objectifs de ce renouvellement urbain sont la valorisation et le retournement d’image du quartier, le développement de mixité sociale, le développement d’offres de commerces et de services et l’arrivée du métro.
Dans le cadre de ce projet de renouvellement urbain et suite au déménagement du centre postal, un étage de la Poste était disponible, avant sa totale démolition. En lien avec Rennes Métropole, en cohérence avec la volonté d’accueillir des activités sur le quartier qui servent l’ensemble des habitant.e.s, il a été décidé de développer un projet d’urbanisme transitoire initié en 2021 qui prendra fin courant 2023 au rez-de-chaussé de La Poste. Ce projet se donnait les objectifs suivants :
- occuper de façon positive un lieu vacant
- redonner une valeur d'usage à un lieu que tous les habitant.e.s connaissent et inventer un nouvel espace commun
- créer du lien social entre les habitant.e.s dans un environnement convivial
- faire émerger et partager les compétences des habitant.e.s
- faciliter la création d'emploi sur le quartier
Territoires Rennes n’ayant pas de moyens humains pour construire et animer le projet, l’aménageur a fait appel à TAg 35 qui accompagne les porteurs de projets collectifs d'économie sociale et solidaire et d'innovation sociale en Ille-et-Vilaine. Ensemble ils ont identifié les cibles du projet : le local devait notamment permettre d’accueillir des activités d’artisanat, autour du savoir-faire des habitant.e.s et du ré-emploi, avec pour objectif d’intégrer des porteurs d’activités informelles.
Un appel à manifestation d’intérêt a été diffusé pour accueillir des porteurs de projets au Timbre de Maurepas, les conditions étaient la mise à disposition à titre gratuit des locaux (afin de permettre aux porteurs de projets de structurer leur activité) seules les charges sont payées par les occupants en contrepartie de quoi ils doivent donner du temps pour faire vivre le lieu, participer aux travaux d’adaptation du local et organiser des temps ouverts sur le quartier.
L’appel à manifestation d’intérêt n’a pas permis d’identifier des porteurs d’activités informelles contrairement à ce qui avait été prévu. En revanche, les activités installées et les ateliers mis en place, centrés sur les savoir-faire des habitant.e.s, ont permis de proposer des temps dédiés à ces publics.
Occupants du Timbre de Maurepas :
- Atelier des bricoles : artiste plasticienne
- Un laboratoire culinaire Hey Bro, pour une activité de food-truck
- La fratrie du quartier : insertion de personnes avec troubles psychiques autour de pratiques culinaires
- La librairie coopérative l’Astrolabe
Le parcours foncier des occupants du Timbre de Maurepas a été anticipé, le projet urbain prévoit des ateliers pour les artisans et chaque occupant sera relogé sur le quartier ou sur un autre.
En plus de la dynamique vertueuse créée par la colocation, les porteurs de projets sont accompagnés par des professionnels de l’emploi : TAg35, mais aussi Cités Lab, porté par la mission locale, qui a délocalisé une de ses permanences hebdomadaires au Timbre de Maurepas. Ces accompagnements bénéficient aux occupants du Timbre de Maurepas ainsi qu’aux habitant.e.s du quartier. Un café associatif autour des savoir-faire des habitant.e.s est ouvert 2 fois par semaine, des ateliers sont également organisés.