L'ESS, un cap pour une transition juste dans nos territoires ? - La parole à Antoinette Guhl, Hervé Gillé et Jean-Jacques Michau
A l’occasion du colloque du jeudi 14 novembre au Palais du Luxembourg, "L'économie sociale et solidaire, un cap pour une transition juste dans nos territoires ? Réalités et perspectives 10 ans après la loi sur l'ESS", les coorganisateurs du colloque, Antoinette Guhl, sénatrice de Paris, Jean-Jacques Michau, sénateur de l’Ariège, et Hervé Gillé, sénateur de Gironde, reviennent sur leur rôle au sein du groupe d’études ESS au Sénat, les défis à relever aujourd’hui par l’économie sociale et solidaire et leurs attentes vis-à-vis du colloque.
Pouvez-vous nous présenter le rôle du groupe d'études Économie sociale et solidaire au Sénat, et pourquoi y êtes-vous impliqué.e ?
Jean-Jacques Michau :
Je préside le groupe d’études sénatorial sur l’ESS depuis le dernier renouvellement sénatorial de septembre 2023, et c’est un grand honneur pour moi. Notre groupe prend en quelque sorte le pouls de l’ESS. Nous faisons remonter les inquiétudes et les attentes des acteurs de l’ESS. Et dans cette période, les inquiétudes ne manquent pas avec les réductions budgétaires qui s’annoncent pour 2025. Nous proposons des évolutions favorables à l'ESS, avec des propositions qui peuvent avoir plusieurs formes: amendements au budget, interpellations du gouvernement, propositions de lois...
Depuis de nombreuses années en tant que militant associatif, élu local puis parlementaire, je suis convaincu que l’ESS offre des solutions locales aux défis sociaux et économiques, et préserve la cohésion sociale et la dignité des individus. En Ariège, elle représente environ 12% de l’emploi salarié soit 4200 emplois. Dans les zones rurales où le retrait des services publics et la désertification fragilisent l’économie locale, l’ESS reste souvent le dernier rempart assurant la protection des plus vulnérables.
Hervé Gillé :
Ce groupe d’études auditionne les acteurs de l’ESS, et nourrit ainsi les travaux parlementaires des élu.e.s. Ce groupe est en quelque sorte un observatoire des défis et des avancées de l’ESS en France et contribue à l’élaboration de propositions de lois pour renforcer son impact.
En tant qu’ancien directeur de mission locale, l’ESS combine pour moi efficacité économique et finalité sociale, en plaçant les individus et l’environnement au cœur de son modèle. Mon engagement au sein du groupe d’études sur l’ESS au Sénat s’inscrit dans une volonté de soutenir des initiatives économiques qui favorisent la résilience de nos territoires tout en promouvant l’équité sociale et environnementale.
Antoinette Guhl :
L’économie sociale et solidaire a besoin d’être présente dans toutes les institutions car elle est aujourd’hui sous-représentée par rapport à ce qu’elle pèse réellement dans l’économie. Il faut impérativement que nous défendions l’ESS pour qu’elle puisse changer d'échelle dans la représentation collective, et que nous menions le combat sur les questions budgétaires car l’ESS est sous-dotée, alors que des milliards d’euros sont accordés pour d’autres acteurs économiques.
Pour ma part, je suis impliquée dans le groupe pour deux raisons :
- Pour des raisons personnelles car j’ai passé toute ma vie à m’investir pour l’économie sociale et solidaire, un engagement continu sur le plan professionnel mais également en tant qu'élue, car j’ai été adjointe à la Mairie de Paris en charge de l’ESS, œuvrant pour une économie parisienne sociale et plus solidaire,
- Pour des raisons politiques d’autre part car nous avons besoin de changer d’économie, de la transformer pour faire en sorte qu’elle accompagne la transition écologique et les grands défis d’aujourd’hui. L’ESS est très moderne en ce sens.
Quels sont les principaux défis que doit relever l'ESS aujourd'hui selon vous ?
JJM :
Avec plus de 200 000 entreprises et organisations et 2,5 millions de salariés, l’ESS est une force vive de notre économie. Elle incarne un modèle d’inclusion, de gouvernance et de solidarité indispensable pour un développement territorial durable. Elle joue un rôle crucial dans la préservation du lien social et la vitalité de nos territoires, notamment en Ariège.
En ces périodes très difficiles pour nombre de nos concitoyen.ne.s, les entreprises de l’insertion par l’activité économique permettent à des milliers de personnes de retrouver un emploi chaque année, mais ces entreprises peinent à boucler leurs budgets, faute de soutien public adéquat.
L’ESS joue un rôle primordial dans le maintien des services de proximité, des solidarités sur nos territoires, mais là aussi, ces différentes structures peinent à assurer leur pérennité faute de financement.
L’ESS représente un pilier essentiel pour la cohésion de notre pays, mais elle ne pourra continuer à jouer son rôle primordial que si des moyens budgétaires suffisants sont dégagés.
HG :
En effet, bien que l’ESS ait gagné en visibilité, elle nécessite une reconnaissance institutionnelle et un soutien politique renforcé. La nomination d’un ministère délégué à l’ESS est un signal encourageant. Malheureusement, le soutien à l’ESS ne peut être que symbolique, la reconnaissance passe aussi par plus de financements. Les structures de l’ESS, souvent de petite taille, font face à des difficultés d’accès aux financements publics et privés. Ce manque de soutien peut freiner leur développement et leur capacité à innover.
La promotion des métiers de l’ESS est également cruciale pour répondre aux besoins en compétences.
Enfin, alors que l’ESS est naturellement tournée vers un modèle économique plus durable, elle doit relever le défi de la transition écologique, en intégrant des pratiques plus respectueuses de l’environnement tout en maintenant sa viabilité économique.
AG :
L’économie sociale et solidaire a un rôle important à jouer dans le développement de l’économie circulaire, des mobilités douces, de l’alimentation biologique, de la distribution alimentaire engagée etc.
L’économie sociale et solidaire peut répondre à la problématique du vieillissement de nos dirigeant.e.s, quand on sait qu’un grand nombre de dirigeant.e.s d’entreprise et fondateur et fondatrices partent en retraite aujourd’hui. Il y a ici une opportunité à saisir pour que ces entreprises soient reprises par leurs salarié.e.s.
Plus largement, la transformation d’entreprises en sociétés coopératives qui appartiennent à leurs salarié.e.s peut être une opportunité pour nombre d’entreprises, comme l’illustrent les exemples récents de Duralex ou de Bergère de France,L’ESS nous montre aujourd’hui qu’il y a une autre manière de faire l’entreprise, de manière plus démocratique, loin de l’économie capitaliste telle qu’elle existe aujourd’hui, et avec des missions qui ont plus de sens.
Vous co-organisez le 14 novembre avec le RTES un colloque "L'ESS, un cap pour une transition juste dans nos territoires ? Réalités et perspectives 10 ans après la loi sur l'ESS" au Palais du Luxembourg à Paris, Qu'attendez vous de cette rencontre ?
AG :
La loi de 2014 sur l’économie sociale et solidaire est une loi importante qui a cadré ce qu’est l’ESS aujourd’hui. J’ai été élue locale à Paris à l’ESS en 2014 et je sais combien cette loi est précieuse. Ce que j'attends de cette rencontre, c'est de voir, 10 ans après, les éléments à modifier pour que la loi continue de jouer son rôle dans le développement de l’économie sociale et solidaire, afin qu’elle puisse passer à des échelons supérieurs pour répondre aux grands défis d’aujourd’hui, qui ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux d’il y a 10 ans.
HG :
Cette rencontre est une occasion privilégiée pour faire le bilan des dix années écoulées depuis la loi sur l’ESS et évaluer les avancées et les points à améliorer pour les années à venir. Ce colloque a pour ambition de réunir divers acteurs – élu.e.s, chercheurs, représentants des structures ESS, citoyen.ne.s – pour engager un dialogue constructif autour des enjeux clés de la transition écologique et sociale.
J’attends de cette rencontre des échanges riches et constructifs, qui permettent d’éclairer les actions prioritaires à mener. Dans un contexte budgétaire sensible, la présence de la ministre de l’ESS sera également l’occasion de recevoir de premiers éléments de réponse du gouvernement sur les baisses de crédit annoncées concernant l’ESS.
JJM :
Le projet de loi de Finances pour 2025 prévoit une réduction de 25% des crédits budgétaires alloués par Bercy à l’ESS, ce qui menace des milliers de structures engagées pour le bien commun, et compromettrait des initiatives locales essentielles notamment dans les territoires ruraux fragiles.
Notre colloque du 14 novembre sera l’occasion d’échanger avec différents acteurs de l’ESS, de dresser un état des lieux.
Le rôle des collectivités territoriales dans le soutien à l’ESS sera central dans nos discussions car elles sont en première ligne pour accompagner l’ESS dans nos territoires.
La ministre de l’ESS, Marie-Agnès Poussier Winsback, nous fait l’honneur d’être présente pour cette rencontre. L’un des objectifs majeurs de ce colloque sera de formuler des propositions fortes à intégrer dans les débats à venir.