Le Cairn, une monnaie locale comme outil au service de la transition écologique et la résilience territoriale
Le Cairn est l'association gérant la monnaie locale citoyenne du même nom, en circulation depuis septembre 2017 sur un large territoire qui englobe la métropole grenobloise et les territoires voisins du centre et sud de l'Isère. Entretien avec Matthias Charre, membre du comité de pilotage de l'association Le Cairn.
Pouvez-vous nous présenter le Cairn et sa future version électronique « e-cairn » ?
L'association compte une soixantaine de bénévoles très impliqués et deux salariés (sur la gestion et communication et sur le développement de la version numérique « e-cairn »), 2000 adhérents particuliers et 250 professionnels, pour 120 000 cairns en circulation.
Nous sommes organisés en groupes locaux, à l'échelle de communes ou communauté de communes, qui vont rencontrer les commerçants et les collectivités et qui organisent des actions de sensibilisation.
Notre gouvernance est ouverte, avec un comité de pilotage collégial d'une quinzaine de membres, qui est notre organe de pilotage et de décision des affaires courantes, et notre comité d'orientation qui réunit tous les trois mois les adhérents pour décider des choix structurants pour l'association.
La version électronique de notre monnaie « e-cairn » sera lancée le 14 mars, suite à la 5ème Rencontre nationale des collectivités autour de l'ESS. Dès le début, c'était un objectif prioritaire d'aller dès que possible vers une version électronique en plus de la version papier.
C'est un outil de développement fondamental pour notre monnaie, pour lui donner toute sa puissance. Depuis 2017, le Cairn est soutenu financièrement par Grenoble Alpes Métropole pour l'amorcage de la monnaie, mais l'idée est bien de tendre à l'autofinancement, notamment grace au lancement de l'e-cairn.
Un informaticien, d'abord en stage puis embauché par l'association, a développé l'outil dématérialisé en partant d'un logiciel existant.
Cela va permettre de fluidifier les échanges, notamment pour permettre aux professionnels de régler leur factures entre eux, et de faire adhérer de nouveaux partenaires. Nous avons développer une solution de paiement par SMS pour les particuliers, pour être accessible au plus grand nombre, et plus tard une application mobile sera également disponible. L'e-cairn va permettre des paiements en ligne, par exemple pour l'achat de places de spectacles, ciné, concert, voire plus tard de factures d'électricité ou d'eau, mais aussi des virements possibles entre comptes Cairn, notamment pour les professionnels.
Cette offre ne sera pas payante, elle est incluse dans nos adhésions, pour les professionnels comme pour les particuliers et sans frais de gestion de compte ou de transaction, l'idée étant de ne pas reproduire un modèle bancaire traditionnel que l'on conteste, et d'attirer un maximum de professionnels.
Vidéo de présentation du Cairn :
Comment inclure les publics précaires dans la démarche de votre monnaie locale ?
Une expérimentation a été menée tout au long du mois de janvier 2019 en partenariat avec le CCAS de Grenoble visant à abonder de 20 cairns les aides sociales facultatives distribuées par le CCAS, dans l'idée de sensibiliser des personnes précaires à l'utilisation de la monnaie locale pour acheter dans les commerces de leur quartier, et que cela représente un gain de pouvoir d'achat pour elles.
L'idée de ce système de bonification n'est bien sûr pas de contraindre les personnes mais de leur faire découvrir le Cairn pour les orienter vers d'autres modes de consommation. Un bilan de cette expérimentation va être présenté, partagé et mis en débat avec d'autres collectivités lors de la 5ème Rencontre nationale des collectivités autour de l'ESS le 14 mars prochain.
Quels rôles et posture d'une collectivité territoriale dans un projet de monnaie locale ?
La réussite du Cairn est aujourd'hui largement dû au soutien politique, financier, matériel de la ville de Grenoble et de Grenoble Alpes Métropole (voir notre interview de Jérome Rubes, vice-président de Grenoble-Alpes Métropole).
Selon nous, les collectivités locales sont l'un des trois piliers fondateurs d'une monnaie locale, en complément des particuliers et des professionnels.
Les collectivités apportent un soutien financier nécessaire à l'amorcage, mais elles apportent surtout de la confiance et elles peuvent accompagner le développement de la monnaie en offrant la possibilité de payer des services publics locaux en monnaie locale.
Par exemple, la Ville de Grenoble et Grenoble Alpes Métropole ont permis que le réseau de transports en commun « TAG » commence à accepter les Cairn pour payer les tickets de transport, alors qu'à partir d'avril 2019, on pourra payer son abonnement MétroVélo en Cairn. C'est aussi le cas pour le Musée de Grenoble, les bibliothèques, les rencontres du cinéma de montagne, et bientôt les droits d'emplacement de marché pour les producteurs. C'est fondamental car cela offre des nouveaux lieux d'utilisation du Cairn, pour les professionnels comme pour les particuliers, et cela donne de la confiance en faisant entrer de grands acteurs économiques dans notre circuit monétaire.
Je dis toujours aux collectivités de s'emparer du Cairn comme d'un outil de développement économique de leur territoire. Cela permet de capter, retenir et redistribuer la richesse produite sur nos territoires et donc d'avoir un territoire résilient.
Comment les monnaies locales peuvent-elles participer à la transition écologique et à la résilience territoriale ?
Les monnaies locales sont un outil économique au service de la transition, grâce à la transversalité qu'elles offrent. Elles permettent d'agir sur de nombreuses politiques, pour un commerce de proximité mais aussi pour réduire les circuits d'approvisionnement, pour renforcer l'agriculture paysanne, le tourisme durable, pour maintenir des emplois, ...
On entend parfois que les monnaies locales ne vont pas assez loin, qu'elles restent adossés à l'euro, mais si jamais le cours de l'euro s'effondre, toutes les habitudes de consommation locale et durable qu'auront prises les particuliers resteront. Les monnaies locales permettent de faire sortir du système bancaire traditionnel toute une masse monétaire et d'être des amortisseurs de futures crises économiques et sociales. Notre fonds de garantie se trouve d'ailleurs à la Nef, et vient soutenir des projets locaux.
Encore une fois, les monnaies locales ne sont qu'un outil, je rêve de ne plus en avoir besoin à terme, quand nous aurons atteint un modèle économique résilient en circuit court.