Le tribunal administratif valide la participation de la Ville de Poitiers à une SCIC
Le Préfet de la Vienne avait remis en cause la possibilité pour la Ville de Poitiers de prendre une participation au sein d'une Société coopérative d'intérêt collectif (Scic) Ceinture Verte Grand Poitiers, qui a pour objet de développer des fermes de proximité, et contribuer ainsi au développement d’une filière agricole locale. Le tribunal administratif a validé la participation de la ville de Poitiers à la SCIC, aux côtés de la Métropole de Poitiers. Le Préfet fait appel de la décision.
"C'est une décision importante qui fera jurisprudence pour que la Ville de Poitiers et d'autres collectivités en France puissent sereinement soutenir d'autres coopérations en faveur de la souveraineté alimentaire du territoire" s'est réjouie la première adjointe de la Ville de Poitiers, Ombelyne Dagicour, s’agissant en effet de la 1ère décision de justice relative à une participation publique en SCIC.
La Ville de Poitiers et la CRESS Nouvelle-Aquitaine organisent une rencontre, dont le RTES est partenaire, le mercredi 29 mai, de 14h à 20h à Poitiers autour de la thématique : « Faire territoire ensemble : le modèle des Sociétés Coopératives d'Intérêt Collectif (SCIC) ». Plus d'informations dans notre article dédié en cliquant ici
Après la validation par le tribunal administratif de la Vienne de la subvention à Alternatiba contestée par le Préfet sur fond de Contrat d’Engagement Républicain (voir CP du TA du 30/11/23), la ville obtient ainsi encore gain de cause devant la même juridiction pour sa participation à la SCIC Ceinture Verte au côté de sa métropole, contestée par le préfet qui plaidait l’incompétence de la ville dessaisie au profit de sa métropole de la compétence développement économique (voir CP du TA du 25/03/24).
Le RTES avait été sollicité pour avis, et avait pu partager des retours d’expérience d’autres communes régulièrement sociétaires de SCIC d’activités analogues aux côtés de leurs EPCI, et appuyer le service juridique et les avocats de la collectivité, alors que l’équipe du RTES venait d’être renforcée par l’arrivée d’un juriste en droit public et spécialiste des SCIC.
Le conseil municipal de Poitiers avait décidé de prendre part au capital de la SCIC “Ceinture Verte Grand Poitiers” le 5 octobre 2022 pour 30K€, de manière concomitante avec le Grand Poitiers dont le conseil métropolitain a pris une décision analogue le 24 juin 2022 pour 70K€. Le grief principal du préfet revenait à voir dans l’objet de la SCIC (contribuer au développement d’une filière agricole locale afin de valoriser la qualité des produits et les pratiques concourant à la transition écologique et de permettre la relocalisation alimentaire pour assurer la promotion des circuits courts) une “action de développement économique” et seulement cela. Ceci afin de soutenir que seule la compétence “développement économique” pouvait fonder une participation et que la ville s’en étant dessaisie de manière exclusive au profit de sa métropole, alors seule cette dernière était fondée à participer à la SCIC.
Le TA conforte en l’espèce surtout que la décision d’une collectivité de participer à une SCIC ne se rattache pas exclusivement à la compétence “actions de développement économique” au seul motif que la SCIC a des retombées économiques. D’autres compétences peuvent bien motiver cette participation. La motivation du TA est ainsi précieuse, qui valide d’une part que la participation pouvait en effet se fonder sur une compétence “développement économique” (ce qui fonde la participation de la métropole, non contestée par le préfet) mais sans exclusive, selon une formulation qui pourrait s’appliquer à toute SCIC : “la création de cette société coopérative, qui a pour objet en vertu de la loi la production ou la fourniture de biens et de services d'intérêt collectif, s’inscrit dans le cadre d’un projet plus global, n’ayant pas qu’un caractère économique, mais également un caractère d’utilité sociale, tenant en l’espèce à favoriser une offre de produits bios et locaux en circuit court, au bénéfice notamment de la restauration collective locale.”
Outre le défaut de compétence, le préfet soulevait aussi un défaut d’intérêt public : “la commune ne démontre pas l’insuffisance ou la carence de l’initiative privée en matière de fourniture de produits alimentaires aux habitants de la commune ni l’intérêt public communal auquel son intervention répondrait” et que “la restauration collective qui est un débouché de l’action de la coopérative ne permet pas davantage de justifier d’une compétence de la commune”. Le TA balaie ces arguments en retenant que “l’activité de la SCIC devrait faciliter le respect par la commune de Poitiers des prescriptions de la loi du 30 octobre 2018, dite « Loi ÉGalim », qui impose aux collectivités territoriales gestionnaires de restaurants collectifs de proposer une part au moins égale à 50 % de produits « durables ». En outre, elle favorisera la mise en œuvre des actions prévues par le projet alimentaire territorial voté par le conseil communautaire de Grand Poitiers et approuvé par une délibération du 6 décembre 2021 du conseil municipal de la ville de Poitiers, notamment celle tenant à l’augmentation de la part de denrées alimentaires biologiques et locales dans les approvisionnements afin d’atteindre progressivement 100% de produits biologiques dans le cadre de la restauration collective de Poitiers.” Le TA se satisfait de l’ampleur des besoins à l’avenir compte tenu de l’ambition du 100% bio dans le droit fil de la jurisprudence admettant que l’intérêt public local peut se fonder sur des besoins futurs (CE, 18 mai 2005, Territoire de la Polynésie française, n° 254199).
De manière plus accessoire, le dernier moyen soulevé par le préfet permet au TA de clarifier le régime libéral de la SCIC, dans le cadre particulier d’une constitution, où la collectivité était invité à prendre part au capital initial de la SCIC en cours de création et non pas à une augmentation du capital social d’une SCIC préalablement immatriculée. Le préfet y soulevait d’abord que la délibération et les statuts ne donnait pas à voir les autres sociétaires et leur participation, de sorte que rien ne garantissait d’une part que les 3 catégories d’associés obligatoires en SCIC seraient pourvues et d’autre part que la participation de la ville en plus de celle de la métropole, ne dépasserait pas le plafond de 50% du capital. Le TA répond qu’outre le caractère prévisionnel (qui ne permet pas de donner à voire les autres participations, en cours de création), rien n’oblige à préciser pour la délibération de participation publique, ni les catégories ou la liste des associés ni leur participations respectives - en effet au moment de l’immatriculation, c’est bien au greffe du tribunal de commerce qu’il reviendra notamment de s’assurer que les 3 catégories d’associés sont bien pourvues et que les parts sociales des collectivités et leurs groupements ne dépassent pas 50% du total.
D’autre part, le préfet soulignait que comme il n’était pas établi au moment de délibérer que la commune participerait en tant que personne qui bénéficie à titre gratuit ou onéreux des activités de la coopérative (puisqu’elle n’a pas encore d’existence légale), cela ne pouvait fonder sa participation en qualité de “bénéficiaire”. Le TA balaie par sa réponse sur l’intérêt public local à venir, en n’exigeant ainsi pas que la collectivité soit préalablement effectivement bénéficiaire de la SCIC (via la commande publique en particulier) pour présumer qu’elle puisse prétendre à la catégorie correspondante. A l’instar d’une participation à une SEML, une collectivité peut donc bien prendre part comme “associé bénéficiaire” d’une SCIC avant même de lui avoir attribué une commande publique.
Enfin, le préfet de la Vienne a d’ores et déjà fait connaître sa décision de faire appel. Il y a peu de risque qu’il prospère alors que la possibilité de différents niveaux de collectivités au sein d’une même société au titre de leurs compétences respectives auxquelles l’activité de la société contribue sans incompatibilité, est bien défrichée pour les entreprises publiques locales. Un arrêt de cour d’appel allant dans le même sens pourrait toutefois renforcer la portée de la jurisprudence positive du TA de la Vienne.