"Nous pensons que l’économie solidaire croise très souvent les domaines de compétence des départements" - Entretien avec Laurent Trogrlic
Laurent Trogrlic, vice-président du conseil départemental de Meurthe-et-Moselle en charge de l’économie et de l’attractivité, maire de la ville de Pompey, président de la communauté de communes du bassin de Pompey et président de la commission développement économique de l’association des communautés de communes de France (ADCF), nous a accordé un entretien. L'occasion de faire le point sur la politique ESS du département et de revenir avec lui sur un sujet d'actualité : la loi NOTRe.
Pourquoi le département s'est engagé dans une dynamique d'économie solidaire ?
Si la compétence économie est confiée aux régions, les départements ont en charge notamment l’insertion des personnes allocataires du RSA. Nous conduisons en Meurthe-et-Moselle une ambitieuse politique de développement social. L’économie solidaire est au croisement de ces enjeux et donne du sens à l'action publique. Nous considérons que c’est un levier de développement des territoires, car c'est un secteur qui a des gisements potentiels d'activités et d'emplois à créer et à conforter et qui est incontestablement vecteur d’innovation sociale. Nous avons la conviction que c’est un secteur qui résiste mieux à la crise et qu'il présente des alternatives crédibles en conciliant efficacité économique et utilité sociale, en contribuant à apporter des réponses aux besoins non satisfaits.
En Meurthe-et-Moselle, l’ESS est un projet politique adossé à une vision du territoire. Notre ambition est de concilier dynamisme économique et cohésion sociale afin que le développement du territoire soit global et profite à chacun. C'est prendre en compte les populations locales, leurs ressources, leurs attentes et leur employabilité ; c’est rompre avec les logiques d’exclusion des plus fragiles ; c’est s’assurer de l’adéquation emplois-qualification-parcours d’insertion ; c’est concentrer une attention particulière sur les petites entreprises, le tissu d’associations, de TPE et PME ; c’est enfin responsabiliser les acteurs publics dans la régulation de l’écosystème économique local, financer et pérenniser l’expérimentation, définir de nouveaux indicateurs de performance et de mesure des valeurs créées pour, ainsi, inventer de nouveaux modèles économiques qui concrétisent l’hybridation des ressources.
Comment définiriez-vous la politique de votre département en matière d’économie solidaire ? Quelles en sont les spécificités ?
Engagée depuis 2008 et structurée en 2012, cette démarche d’appui au développement d’une économie solidaire est devenue un marqueur identitaire de la Meurthe-et-Moselle reconnu au niveau national. Aujourd’hui, nous constatons que l'économie solidaire fait partie intégrante du paysage économique départemental et régional, que l'impulsion du conseil départemental permet de contribuer à créer un écosystème favorable au déploiement de l’économie solidaire. La mise en place d'une ingénierie et d’une expertise est désormais opérationnelle. Je pense que la réussite de cette démarche tient essentiellement à une volonté de co-construction de la démarche avec les partenaires sur la durée. Le département a donné caractère fédérateur à son approche. Nous avons en effet opté pour une approche ouverte encourageant toutes les dynamiques vertueuses d'un développement durable et ne reposant pas exclusivement sur des logiques de statuts.
Notre démarche est organisée autour de 4 axes stratégiques : l’accompagnement à l'émergence et la création d'activités, la pérennisation des activités et des emplois, l’accès aux financements, la valorisation et la promotion de l'économie solidaire. Cela se traduit par différents évènements que le conseil départemental initie, tels que les Trophées et salon de l'Économie solidaire, des Rendez-vous territoriaux, animations territoriales avec des agents chargés de l’économie solidaire, l’animation de démarches collectives structurantes sur les territoires et le renforcement de l’entreprenariat collectif dans des filières en lien avec les politiques publiques départementales (Agriculture –circuits courts ; Habitat- Eco construction -Economie circulaire Silver économie et santé.) C'est notamment toute la dynamique des Pôles territoriaux de coopération économique PTCE, avec le PTCE Eco Trans Faire (Eco-construction et éco rénovation sur le Pays haut dans une dynamique transfrontalière) et le PTCE sur l'économie circulaire sur le territoire de terres de lorraine.
Quels sont vos actions et projets en cours ?
La démarche départementale engagée en 2012 a permis des avancées notoires et elle est devenue un marqueur fort de l’action départementale mais aussi de l’économie de Meurthe-et-Moselle. Malgré cela, il reste des efforts importants à réaliser pour décloisonner cette démarche et « changer d’échelle » dans les projets initiés et soutenus. Sans changer de nature la dynamique engagée (les objectifs posés en 2012), l’objectif principal proposé sur lequel le vice-président et les services travaillent est d’inscrire davantage l’économie solidaire dans le champ du développement économique pour développer l’emploi, d’une part, et renforcer la crédibilité et la reconnaissance de ce modèle, d’autre part.
Outre le maintien d’actions de promotion et de valorisation, 3 enjeux particuliers nous semblent importants :
-le soutien à l’entreprenariat solidaire,
-la création d’écosystèmes favorables à l’innovation sociale,
-l’intégration de l’économie solidaire dans un système économique
Par ailleurs, nous souhaitons appuyer les démarches d’acteurs pour structurer une économie de services aux personnes âgées, la fameuse « silveréconomie », qui soit bien sûr porteuse de croissance et d’emploi, mais également équilibrée par l’élaboration de véritables réponses aux enjeux de société autour de l’autonomie des personnes âgées, en particulier pour les plus fragiles d’entre elles. Un PTCE pourrait même s’étudier dans ce cadre.
Autre projet phare : le développement des circuits courts sur nos territoires, en prenant notamment appui sur la commande publique des collèges, avec un objectif de généralisation en approvisionnement local pour au moins 20% des produits.
Quel sera l’impact de la loi NOTRe sur la politique d'économie solidaire du département ?
L’impact de la loi NOTRe sur l’action des départements en matière de développement, et notamment sur l’économie solidaire, est encore largement à définir. La loi est claire sur l’action économique classique (aides directes, aménagement), mais ne prévoit pas du tout la question d’interventions plus originales de soutien à l’E.S. (en dehors des précisions sur le schéma régional).
À l’ADF, comme au niveau du département, nous sommes en train de procéder à une analyse juridique pour concilier la loi ESS et la loi NOTRe, pour imaginer et construire ce que pourra être notre intervention demain. Dans les grandes lignes, nous pensons que l’économie solidaire croise très souvent les domaines de compétence des départements sur les politiques de solidarité en particulier, mais aussi dans le domaine de l’appui aux communes, aux intercommunalités, aux associations, à la préservation de l’environnement, au développement de la citoyenneté et du vivre ensemble, et qu’à ce titre de nombreuses interventions restent possible.
En tant qu’acteur économique, le département doit avoir un rôle fort, à la fois en tant qu’acheteur public, par exemple, mais aussi en tant qu’assembleur du territoire. L’économie solidaire peut entrer dans la vocation affirmée du département comme chef de file des solidarités, entre les hommes et entre les territoires
En Meurthe-et-Moselle, nous n’avons pas ou peu mis en place de dispositifs d’intervention financière en soutien à des structures, mais plutôt misé sur des animations, de l’apport en ingénierie, et des montages originaux dans nos projets. La loi NOTRe a d’abord une approche catégorielle. Nous nous interrogeons tout de même sur la possibilité de poursuivre certains conventionnements, avec des structures « situées » historiquement dans le champ du développement économique, mais qui ont-elles-aussi évolué dans leur approche pour appuyer les dynamiques d’économie solidaire.
Au-delà de l’aspect juridique, nous gardons une conviction profonde : bon nombre d’interventions n’ont pas de sens sans le levier de l’économie solidaire, du développement. Quel est le sens de l’insertion sans le travail auprès des entreprises ? Quel est le sens des politiques d’autonomie sans s’intéresser aux initiatives privées pour maintenir les personnes dans leurs logements ?
Quels sont les liens entre votre département et le RTES ? Quel est l’intérêt pour vous d’adhérer au réseau ? Quelle est votre implication ?
L’intérêt du réseau RTES est multiple pour la politique départementale d’économie solidaire. Elle permet d’une part la valorisation de son originalité auprès de l’ensemble des autres acteurs mobilisés dans ce réseau et ainsi enrichir par l’exemple tout le travail de conviction et de lobbying que le réseau porte au national et en local. Elle procure aussi de la matière utile à l’enrichissement de notre propre politique, en particulier dans le cadre d’initiatives portées par le RTES en région Lorraine. Ainsi, le département s'est investi dans l’animation d’une journée de colloque autour des enjeux de l’Insertion par l’activité économique afin de confronter son approche avec celles de ses voisins lorrains, pour faciliter l’identification de bonnes pratiques dont l’essaimage est rendu ainsi plus aisé grâce à la mobilisation d’expertise par le RTES (élus et techniciens). Le département participe également régulièrement au Conseil d'administration du RTES.
Réservé aux adhérents
Retrouvez, dans votre espace adhérent, le compte-rendu de la rencontre "Quelles politiques en faveur de l’ESS pour les départements après la loi NOTRe ?", organisée par le RTES le 24 novembre 2015 et notamment : la synthèse et l’analyse des réponses au questionnaire préparatoire à cette rencontre, la présentation powerpoint et les questionnements soulevés durant cette réunion.