"Une économie enthousiaste, active, créatrice de liens sociaux, concrète et mobilisatrice" : entretien avec Antoinette Guhl, adjointe à la mairie de Paris
Le RTES entame une série d'entretiens avec ses nouveaux administrateurs élus lors de l'AG du 1er juillet 2014. Ce mois-ci, c'est Antoinette Guhl, adjointe à la Maire de Paris chargée de l’économie sociale et solidaire, de l'innovation sociale et de l'économie circulaire qui se prête au jeu. Celle qui se définit comme “un pur produit de l'ESS” revient sur son parcours, sa vision de l'économie sociale et solidaire et le rôle des collectivités dans son développement.
Je suis un pur produit de l'ESS !
Enfin, “presque”, car je suis issue d'une formation en école de commerce, avec une spécialisation en développement durable et solidarité internationale. J'ai ensuite accompagné la structuration, le développement et la qualification d'acteurs de l'ESS dans la micro-finance solidaire, le commerce équitable, les dynamiques de jardins partagés ou de recyclage, en France comme à l'étranger. Mais j'ai toujours été convaincue que connaître et comprendre les techniques appliquées dans l'économie dite “classique” est utile à la construction d’une autre économie, une économie qui a du sens. Cette économie qui met l’humain en son centre ne s’y limite plus : elle intègre de plus en plus des considérations environnementales, notamment en matière d’économie circulaire. Aujourd'hui, l'ESS prend un tournant : ses acteurs se professionnalisent, le secteur est en plein essor et se structure, et c'est une bonne chose.
Sur notre territoire comme ailleurs, les structures de l'ESS font face au défi quotidien de leur insertion dans un tissu économique qui fonctionne sur d’autres bases et leur est parfois hostile.
La question du modèle économique des structures de l’économie sociale et solidaire se pose constamment. Ensemble, structures, réseaux d’acteurs et collectivités recherchent une autonomisation du secteur vis-à-vis des pouvoirs publics. A Paris plus qu’ailleurs, ces entreprises sont confrontées au problème du manque de locaux. Pour y répondre, nous élaborons un partenariat avec l'ensemble des incubateurs parisiens pour qu'il y ait, dans chacun d'eux, des places réservées aux acteurs de l'ESS. Nous travaillons aussi avec les bailleurs pour installer, en pied d'immeuble, des locaux réservés et dynamiser les quartiers.
Autre axe fort : la commande publique responsable. Une partie non négligeable des achats passe actuellement par la commande publique... Si nous permettons, chacun à notre niveau, aux acteurs de l'économie sociale et solidaire de répondre aux marchés publics, nous participons ainsi au changement d'échelle de l’ESS.
Enfin, nous travaillons à la qualification des acteurs et à l'appui aux structures d'accompagnement (ADIE, Paris Initiative Entreprise, Boutique de gestion...). Beaucoup d'entrepreneurs ont besoin d'être accompagnés, les services et compétences ont besoin d’être mutualisés. Nous travaillons ensemble, avec eux, à leur structuration au niveau du territoire parisien au sein d’une communauté des acteurs.
Pour moi, il est fondamental que l'ESS préserve son adjectif “social”.
Je suis très attachée à l'Insertion par l'Activité Économique. Nous devons continuer à affirmer que l'un des objectifs de l'ESS est de travailler avec des personnes éloignées de l'emploi. La grande cause de la mandature de la Maire de Paris, Anne Hidalgo, est la lutte contre la grande exclusion ; j’y inscris mon action en animant un atelier sur l’insertion durable, avec les autres services de la collectivité et les acteurs du territoire. Les ateliers menés vont prochainement déboucher sur un plan d'actions collectif. Nous encourageons également, grâce à une aide financière, les structures de l'IAE à embaucher des personnes au RSA. Nous soutenons des dispositifs spécifiques, comme le dispositif « Premières heures », lancé initialement avec Emmaüs Défi, qui permet aux SDF de reprendre progressivement une activité rémunérée. Et allons mettre en place d'autres opérations à destination des familles monoparentales ou des jeunes notamment.
Pour sensibiliser le grand public à l'ESS, il est important de montrer que cette économie est ancrée dans leur quotidien.
À l'occasion du mois de l'ESS par exemple, nous organisons dans Paris des parcours thématiques sur l'alimentation, l’économie circulaire, la finance solidaire, l’innovation... En visitant des lieux, en testant des concepts, les citoyens pourront se rendre compte concrètement des manières dont l'ESS entre dans leur quotidien. L'un des dangers de l'ESS réside dans sa conceptualisation. L'ESS est une réflexion sur l'économie et la société, mais il faut changer la manière d'en parler : c'est une économie enthousiaste, active, créatrice de liens sociaux, concrète et mobilisatrice.
Les citoyens prennent en main les choses quand on leur donne la possibilité de le faire.
Nous l'avons constaté dans la mise en place du budget participatif, qui lui aussi participe de l'ESS : dans le mouvement de mobilisation qu'il a entraîné autour du bien commun, on a des germes de ce qu'est l'ESS. La participation de la population ne peut être que vertueuse pour construire une économie dans laquelle les individus se sentent impliqués.
L'ESS a vocation à accompagner la politique générale de la collectivité car elle est à la convergence des politiques sociale, de logement, de santé, d'emploi... L'ESS donne les moyens aux collectivités d'apporter à un moment précis une réponse complexe et adaptée aux individus. On ne peut pas régler une politique d'emploi uniquement sous le prisme économique.
Les collectivités, elles, ont un rôle primordial à jouer dans le changement d'échelle de l'ESS.
À la fois parce qu'elles agissent localement et sont ancrées dans les territoires, et aussi parce que, ensemble, elles peuvent porter leurs voix à l'échelle nationale voire internationale. Dans cette optique, le RTES joue deux rôles importants : celui de “transmetteur” d'expériences, pour savoir ce qui se passe ailleurs, quels sont les outils utilisés pour mettre en place tel ou tel dispositif, et celui de “porteur” de cette parole collective. Le RTES a cette force : on l'a vu sur la loi ESS. Et on pourrait le voir sur d'autres enjeux qui se profilent, dans lesquels l'économie sociale et solidaire a son mot à dire, comme la COP 21 [56] ou la loi sur l'économie circulaire.
Pour aller plus loin :
-Le programme du mois de l'ESS à Paris est en ligne, vous y retrouverez notamment les parcours thématiques dans Paris et la remise des Trophées de l'ESS
-Découvrez la démarche du budget participatif lancé en 2014 par la ville de Paris
-Retrouvez la fiche adhérent RTES de la ville de Paris
-À noter : la ville de Paris organisera les 1er et 2 avril 2015 un Grand Forum sur l'ESS.