« L’ESS est un moyen pour les citoyens de se réapproprier le pouvoir économique » - Entretien avec Jean René Marsac
Grand témoin de la 6ème Rencontre nationale des collectivités locales autour de l'ESS organisée par le RTES le 30 juin prochain à Paris, Jean-René Marsac est député d’Ille et Vilaine depuis 2007. Il revient pour nous sur les principales avancées de la loi ESS, sur les pistes de progrès pour l'ESS et sur les enjeux à cerner en matière de politiques locales et nationale de développement de l'ESS. Un entretien qui est aussi l'occasion d'aborder la question de la réutilisation sociale des biens confisqués.
Jean-René Marsac a participé à la fondation du Coorace, dont il a été président et secrétaire général, et a été co-président du Groupe d’Etudes sur l’Économie sociale à l’Assemblée Nationale. Il ne se représente pas aux législatives de 2017.
Quelles sont selon vous les principales avancées de la loi ESS, près de 3 ans après sa promulgation ?
La construction de la loi elle-même était déjà une avancée importante. Elle a manifesté une mobilisation large de l'Assemblée nationale, puisque presque toutes les commissions étaient concernées, y compris celle des Affaires Etrangères dont j'étais le rapporteur, et qui a apporté une contribution sur l'enjeu international de l’ESS.
Au niveau national et local, la loi a permis de renforcer la visibilité de l'ESS et sa structuration institutionnelle, en adoptant une approche inclusive de l'ESS dépassant les limites statutaires, et en renforçant la représentation institutionnelle de l'ESS, avec notamment la création de la Chambre française de l'ESS et la vocation particulière des CRESS qui a été renforcée. Au niveau local, l'ESS s'est aussi mieux structurée, que ce soit en matière de représentation, d'animation mais surtout d'initiatives économiques dans les territoires, comme on le voit avec le développement des PTCE, qui se sont consolidés depuis la loi ESS, y compris grâce au soutien de l’État.
Quelles sont selon vous les pistes de progrès pour le développement de l'ESS ?
Aujourd'hui, le risque existe encore que l'ESS soit instrumentalisée au bénéfice d'une autre politique, les tropismes sont en marche régulièrement, certains voient l'ESS simplement comme l'économie collaborative, d'autres comme celle de la transition énergétique...Mais elle est tout ça à la fois, elle intervient dans tous les champs sans exclusive, elle est d'abord une économie démocratique.
Depuis 2012, nous avions accompagné le mouvement pour nous assurer que la politique de soutien à l'ESS trouve sa place à Bercy, mais on voit bien que cela n'est pas pérennisé aujourd'hui. Elle est confiée au ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, qui devra travailler en transversalité avec les autres ministères concernés. Le risque étant qu'elle soit tirée dans un sens mais qu'elle ne soit pas prise en compte dans sa totalité.
Une autre piste de progrès serait de rendre l'ESS davantage citoyenne. Elle peut paraître abstraite pour les citoyens, alors qu'ils la vivent au quotidien à travers la vie associative, le service aux personnes âgées, leur mutuelle ou coopérative…
Les artisans ont réussi à faire passer l'idée que l'artisanat est la « 1ère entreprise de France ». Il faut faire en sorte que l'ESS apparaisse, elle, comme la démocratie en œuvre dans l'économie. Le processus démocratique est au cœur de l'ESS.
De plus, cela croise les aspirations du moment, les citoyens ont envie de reprendre la main sur la vie économique, ils ont l'impression de subir les effets de l'économie mondialisée. L'ESS est un moyen pour les citoyens de se réapproprier le pouvoir économique, mais ils ne font pas encore suffisamment le lien. Bien sûr, de manière ponctuelle, l'ESS est bien perçue comme l'économie aux mains des citoyens, comme dans le cadre de l'expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » ou avec l'exemple dans ma région d'un parc éolien citoyen (voir notre article dédié aux Eoliennes en Pays de Vilaine). Mais il existe aussi dans l'ESS des phénomènes inverses à la démocratie économique, qui apparaissent sous le jeu de la concentration économique et de la technocratie. Les citoyens ont alors le sentiment d'une désappropriation par rapport à leur banque coopérative, leur mutuelle, leur coopérative agricole…
Enfin, concernant le secteur associatif, je pense qu'il y a aujourd'hui un souci en terme de pilotage. Certaines associations ne sont que des prolongements de la puissance publique, ne vivent que d'une mission de service public, les dirigeants ayant des marges de manœuvre très limitées. Il y a besoin de mettre de la clarté, de permettre aux associations de faire valoir un projet associatif indépendant. Cela passe également par une évolution du statut des élus associatifs, comme cela a pu être fait dans le secteur coopératif. On ne peut pas rester dans du bénévolat pur lorsqu'on a des responsabilités lourdes d’employeur ou de représentation institutionnelle.
Quels enjeux voyez-vous dans les prochaines années concernant les politiques nationales et locales de soutien à l'ESS ?
L'une des perspectives serait d'identifier clairement le soutien à l'innovation sociale comme une politique publique à part entière, au même titre que le soutien à l'innovation technologique. L'innovation sociale a été mise en lumière dans le texte de la loi ESS et j'avais porté ce point fortement avec d'autres députés. Il faut aujourd'hui aller plus loin dans le soutien aux actions expérimentales sans avoir d'a priori limitant. Il ne faut pas attendre que les initiatives mûrissent pour commencer à les soutenir. Et les acteurs de l'ESS doivent s'emparer de ces expérimentations sociales et locales, comme par exemple « Territoire zéro chômeur de longue durée », qui a d'ailleurs fait l'objet d'une loi d'expérimentation. Ce serait un peu lourd de faire un texte de loi pour chaque nouvelle expérimentation, mais il faut trouver les moyens de soutenir davantage l'émergence et la créativité.
Il y a également un enjeu concernant les PTCE. Ces démarches sont très riches en articulation entre acteurs économiques sur un territoire pour construire des réponses nouvelles. En tant qu'ancien responsable de la fédération COORACE, je suis très heureux de constater que les acteurs locaux ont conçu et porté eux-mêmes les PTCE. L’État avait décidé d'en financer un certain nombre à travers deux appels à projets (voir notre article dédié ). Il faut cependant être attentif au fait que même ceux qui ne sont pas financés par l’État sont aussi légitimes. Il faut à l'avenir que les Régions puissent se saisir fortement du développement des PTCE.
Au niveau régional justement, la loi ESS prévoit l'élaboration d'une stratégie régionale de développement, incluse depuis dans les SRDEII avec la loi NOTRe. Dans ce nouveau cadre, il ne faut pas que l'ESS soit noyée, je pense que les CRESS ont un rôle à jouer pour que la dimension stratégique régionale soit lisible et impulsée.
Il faut également que les intercommunalités, qui ont vu leurs compétences en matière de développement économique renforcées, prennent à présent mieux en compte l'ESS dans leurs schémas de développement. Certaines n'ont pas encore pris la mesure de l'importance de l'ESS en terme de développement territorial.
Vous portez depuis plusieurs années la question de la réutilisation sociale des biens confisqués [4]. Où en est-on aujourd’hui ?
La réutilisation sociale des biens confisqués est un sujet de bon sens, qui me tient à cœur. Il s'agit de faire en sorte que les biens confisqués par la justice contribuent à développer des initiatives économiques solidaires nouvelles.
Les italiens l'ont fait aboutir dans leur législation depuis longtemps et une directive européenne pousse les Etats membres à avancer dans ce sens. En France, il faut encore déplacer des frilosités politiques et des logiques technico-administratives...Nous avons buté sur des résistances ministérielles, nos amendements ayant été différé de texte en texte. Finalement, un amendement avait été intégré dans la loi un peu fourre-tout Egalité & Citoyenneté. Mais le Conseil constitutionnel a considéré qu'il s'agissait d'un « cavalier législatif » (voir notre article dédié). La voie législative n'a pas abouti pour le moment. Il faut à présent reprendre la négociation avec l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC).