Finances solidaires, banques coopératives - interview de Hugues Sibille, directeur général délégué du Crédit Coopératif
En préparation de la journée du 2 juillet consacrée aux finances solidaires, le RTES a interrogé Hugues Sibille, directeur général délégué du Crédit Coopératif, président de l'Avise, et ancien délégué interministériel à l'économie sociale, sur sa vision de ce secteur mais aussi plus largement sur les enjeux actuels des banques coopératives et de l'ESS.
Considérez-vous que les finances solidaires ont un réel potentiel pour irriguer fortement l'économie, notamment au niveau local ?
Je ferai une réponse contrastée. Si l'on considère le baromètre réalisé par Finansol, on constate une croissance continue de l'intérêt pour les produits financiers solidaires. Mais lorsque l'on rapporte la part des produits labellisés à l'ensemble des placements financiers, celle-ci reste faible. La progression des produits solidaires provient pour une bonne part de l'épargne salariale alors que l'épargne solidaire des particuliers progresse moins vite. Cependant d'après les enquêtes d'opinion, le potentiel reste considérable tant les gens sont intéressés par les principes de la finance solidaire mais n'en connaissent pas les produits ou les modes d'accès. Par ailleurs, la crise a montré nettement l’intérêt de l’Investissement socialement responsable (ISR) qui connaît un fort développement.
Avec la crise financière, la fusion en cours des Banques Populaires et des Caisses d'Épargne, et la prise de participation de l'État, la gouvernance dans les banques coopératives n'est-elle pas menacée ?
Je dirais que ce ne sont pas tant les principes coopératifs qui se trouvent menacés que leur prise en compte qui s’est avérée insuffisante dans certain cas. Dans ces deux groupes bancaires, il y a eu un double mouvement : on a joué un rôle de banques d'investissement sur des métiers hyper-capitalistes mal maîtrisés, et l’effet de la cotation de Natixis a amené à piloter plutôt en fonction du cours de bourse qu’en fonction d’un sociétariat coopératif qui privilégie le temps long. Mais si l'on regarde de plus près, on s'aperçoit que les caisses régionales n'ont pas failli. De plus, le texte de loi, actuellement en discussion, préserve le fait que ces groupes vont rester coopératifs. Il ne s’agit pas de dire ici que tout va bien ni qu'ils ont trahi, mais il y a une réflexion à mener sur la gouvernance pour maintenir le pouvoir à la base et rester dans un modèle de banque régionale de proximité. Il faut du débat public et je suis favorable à ce que se développe un « activisme coopératif des sociétaires » qui vient s'exprimer librement dans les assemblées générales. C'est d'ailleurs le sens du projet Coopéraction 2015 du Crédit Coopératif qui vise à renforcer la vie coopérative et maintenir notre niveau d'autonomie au sein du groupe Banques Populaires. Nous souhaitons défendre l'idée qu'avoir une vie interne démocratique c'est possible et que ça marche.
La reconnaissance actuelle de l'ESS par les collectivités locales, peut-elle se traduire à d'autres échelles ?
Nous vivons une époque paradoxale. Avec la crise, l'ESS n'a jamais été autant d'actualité et il y a vraiment une attente de l'opinion. Ce qui paraissait ringard il y a dix ans devient intéressant aujourd'hui : les réserves impartageables, l'approche de long terme, la démocratie économique. Sur les territoires, on voit les acteurs travailler dans l'unité et la transversalité, les CRESS se développer et les politiques locales faire un bond en avant, que ce soit au niveau des régions ou des autres collectivités comme en témoigne la dynamique du RTES. En revanche à l’échelon national, les clignotants sont inversés. Au niveau gouvernemental, la DIES va être rattachée à l'action sociale, sans l'économie et vidée de son sens. Le CEGES, sensé représenter les acteurs, est en situation délicate et ne se fait guère entendre alors qu'il aurait devant lui un boulevard actuellement pour agir. On a donc une contradiction entre cette attente sociale, la dynamique locale et la faiblesse nationale. Dans le même temps, au niveau européen les enjeux sont brouillés dans le débat sur les SSIG et l'ESS est loin d'être la priorité du Parlement européen.
L'ESS sera-t-elle à la hauteur de l'opportunité actuelle ?
Pour le moment, ce n'est pas encore le cas alors même que la fenêtre est ouverte. L'histoire ne repasse pas souvent les mêmes plats et qui sait où en sera l'économie dans deux-trois ans ? Et ceci, alors que les entreprises classiques se bougent. Les démarches de responsabilité sociale se multiplient et ce n'est pas toujours du bluff. Lorsque Danone met en place un fonds de 100 millions d'euros pour soutenir des initiatives locales, ce n'est pas rien.
De même, le concept d'entrepreneuriat social se développe...
Personnellement, je vois les choses en cercles concentriques. J'ai passé ma vie à défendre l'économie sociale et solidaire et je reste sur cette ligne. La notion d'entrepreneuriat social me semble intéressante car elle permet d'élargir le champ, y compris dans une perspective internationale, alors que l'ESS reste parfois enfermée dans ses statuts ou une approche trop sectorielle. Mais il faut aussi que l'entrepreneuriat social ne recouvre pas uniquement des fonctions de réparation et d'insertion et intègre également des enjeux d'intérêt collectif, de gouvernance démocratique. Enfin, il me semble qu'il y a un 3e cercle, celui des syndicats, des mouvements sociaux, des réseaux comme le réseau Entreprendre, avec qui des alliances sont possibles pour que l'ESS ne soit pas dans un ghetto repliée sur elle même et s'associe avec d'autres, des entreprises, des collectivités locales, au service d'une économie humaine.