Interview de Sabrina Abdi - CGET (version longue - lettre papier n°32)
VERSION LONGUE DE L'ENTRETIEN RÉALISÉ AVEC SABRINA ABDI POUR LA LETTRE PAPIER N°32 DU RTES (FÉVRIER 2019) CONSACRÉE À "POLITIQUE DE LA VILLE & ESS".
Sabrina Abdi est coordinatrice des échanges et politiques urbaines européennes au Bureau de la coordination des Programmes européens et des Territoires du CGET.
Contact : sabrina.abdi@cget.gouv.fr
La Politique de la ville est-elle une exception française en Europe ?
La France est l'un des rares pays européens à avoir une politique publique en matière de pauvreté urbaine, aussi élaborée et pérenne, avec des budgets si importants.
Il existe des précédents ou des politiques légèrement similaires dans d'autres pays, comme en Angleterre avec le « New Deal for Communities » engagé de 1998 à 2008 qui avait cette approche de régénération des quartiers défavorisés. En Allemagne, le programme « Soziale Stadt » se rapproche de la Politique de la ville française, mais dans un cadre plus restreint lié aux compétences limitées de l’État fédéral allemand.
Lors de réunions européennes, les autres États membres posent généralement beaucoup de questions sur la mise en oeuvre de la Politique de la ville en France, sur les budgets alloués, le fonctionnement de l'ANRU, l'approche participative…L'Espagne notamment souhaite s'inspirer de la Politique de la ville pour développer des politiques similaires.
Le CGET travaille dans le cadre d'URBACT, à un projet pilote « Local pact » avec l'Allemagne, l'Espagne et la Pologne, pour modéliser un outil de gestion des fonds européens dédiés aux quartiers les plus défavorisés pour la prochaine programmation 2021-2027.
Ce projet s'inscrit dans le cadre de l'Agenda urbain pour l'Union européenne, adopté dans le cadre du Pacte d'Amsterdam signé en 2016 par les États membres, visant à lancer une réflexion globale pour permettre une meilleure réglementation, financement et connaissance pour les villes européennes. Cet Agenda urbain est le pendant d'ONU Habitat. Dans ce cadre, 12 partenariats ont été lancés, sur l'économie circulaire, sur le logement abordable, sur la transition énergétique, et un sur la pauvreté urbaine.
Le CGET coordonne ce partenariat « pauvreté urbaine » avec la Belgique. Nous avons défini un plan d'actions dans le cadre de ce partenariat sur la pauvreté infantile, la régénération des quartiers, la question des sans-domiciles fixes et des populations Roms. Dans le cadre de l'action sur la régénération des quartiers, il y a donc une action visant à mettre en place d'ici la prochaine programmation des fonds européens en 2020, un outil de gestion des fonds européens pour mieux répondre à la problématique des quartiers défavorisés. Ce projet « Local pact » souhaite développer une approche multi-niveaux et multi-fonds.
A noter que la Pologne a mis en place une stratégie nationale urbaine en 2015 qui n'existait pas avant, grâce aux fonds européens. Les maires polonnais, et notamment le maire de Lodz, sont particulièrement intéressés à intégrer l'approche des quartiers défavorisés dans le développement urbain.
Dans quelle mesure les fonds européens peuvent-ils soutenir l'ESS en quartiers Politique de la ville ?
Le règlement des programmes européens 2014-2020 pose le principe d'une concentration thématique des fonds européens à hauteur de 80 % sur la recherche, l'innovation, l'aide aux PME et la transition énergétique, ce qui laisse moins de marges pour des projets liés à l'ESS.
Ce règlement prévoit tout de même d'allouer 5 % des fonds FEDER au développement urbain durable. Et en France, cette ambition est même portée à 10 % des fonds FEDER et FSE.
Dans ce cadre, les Conseils régionaux sont autorités de gestion de ces fonds et définissent leur priorités. Ils fixent des objectifs thématiques qui permettent de choisir quel type d'action sera encouragé, et par exemple l'éligibilité ou non d'actions d'ESS en quartiers Politique de la ville.
Mais de manière générale, le soutien à l'ESS des Conseils régionaux via les fonds européens reste assez marginal et varie selon les Régions. De plus, certaines Régions ne flèchent pas forcément leur enveloppe dédiée au développement urbain aux seuls quartiers Politique de la ville, mais adoptent une stratégie plus large, en allouant des financements aux niveaux d'agglomérations ou des métropoles.
Par ailleurs, il faut noter le cas spécifique en France de l'Eurométropole de Strasbourg. Dans les environ 200 stratégies urbaines intégrées que compte la France, les villes et métropoles sont considérées comme des « organismes intermédiaires à tâche limitée » qui ne sélectionnent que les projets européens que le Conseil régional vient instruire. L'Eurométropole de Strasbourg est la seule métropole française qui peut sélectionner et instruire les projets en en prenant la responsabilité et en assurant l'ensemble des tâches qui incombent à l'autorité de gestion (« piste d'audit ») tout en rendant compte aux autorités de gestion des fonds européens qui restent bien l'État et le Conseil régional de Grand Est.
Avez-vous connaissance en France d'initiatives ESS en QPV mobilisant des fonds européens ? Avec quels apports (au-delà des aspects financiers) ?
Dans le cadre de stratégies urbaines intégrées, on peut par exemple citer :
- le projet de création d'une nouvelle boulangerie solidaire « Pain et Partage » à Bordeaux-Mérignac, mobilisant du FEDER en investissement.
- la couveuse « EPICEAS » accompagnant la création d'activités d'ESS en Ile-de-France mobilise du FSE. Cette couveuse est portée par l'association de développement local Projets-19, implantée dans le 18e et 19e arrondissement de Paris.
- un projet de promotion et d'accompagnement à la création et au développement de TPE et structures de l'ESS sur le territoire de Plaine Commune, mobilisant également du FSE.
De manière générale, la mobilisation de fonds européens apporte un effet levier des financements, en permettant aux projets de se pérenniser grâce au développement de partenariats avec d'autres financeurs potentiels rassurés par la présence de fonds européens.
De plus, les projets mobilisant des fonds européens sont tenus de communiquer sur ce soutien. Les fonds européens permettent ainsi de valoriser et de crédibiliser les projets au niveau national et européen, mais aussi d'apporter l'approche européenne au niveau local des projets.