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Rapport de l'IGAS sur les crèches : décryptage
Publié le 10 mai 2023 - mis à jour le 11 mai 2023

Rapport de l'IGAS sur les crèches : décryptage

Suite au décès d’un jeune enfant survenu au sein d’une crèche collective en juin 2022, l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) a publié début avril 2023 son rapport relatif à la « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance institutionnelle dans les crèches ». Le RTES vous propose un décryptage du rapport.

Le rapport est initialement motivé par le drame survenu dans une crèche lyonnaise et vise à éclairer les « facteurs qui, dans cette crèche, dans ce réseau et dans le cadre général des modes d’accueil collectif, auraient pu concourir à l’installation de telles situations » (de mise en danger des enfants). La mission visait d’abord ce qui relève de la maîtrise des risques en termes de prévention et contrôle, « en fonction notamment des types de prise en charge, de la taille ou d’autres caractéristiques des modes d’accueil », mais ne prévoyait pas expressément d’examiner leurs modes de financement.

Outre les témoignages éprouvants de maltraitances (qu’il ne s’agit bien entendu pas de généraliser à l’ensemble d’une profession dont l’engagement reste à saluer compte tenu des tensions), le rapport aboutit à une critique plus générale du mode de financement actuel, et suggère sa refonte systémique. L’IGAS dresse en effet une critique de l’écosystème institutionnel des crèches, qu’il s’agisse du mode de financement par la branche famille de la Sécurité sociale (CAF), comme de l’engagement financier des collectivités territoriales, en recul et inégal entre les territoires. Ces modalités de financement (et incidemment les différents modèles économiques qui y répondent) sont des facteurs de « risques pour la qualité » concourant ainsi à la maltraitance institutionnelle identifiée. 

Pour ce qui intéresse l’ESS et par conséquent le RTES et les collectivités engagées en la matière, le rapport (dont l’un des rapporteurs n’est autre que l'ancien Haut-commissaire à l’ESS, Christophe Itier) fait également la part entre le « secteur marchand » (dont il soulève les « hypothèses » d’abus financier, car l’IGAS n’était donc pas particulièrement mandaté à l’origine pour investiguer plus avant ce champ pour ce rapport) et le « secteur associatif » ou « privé non lucratif » mis en tension, voire en « péril » par l’émergence du secteur marchand.

On peut mettre souligner les points suivants du rapport de l’IGAS:

- Le financement communal en baisse, fragilise le secteur associatif (1)

- Les crèches d’entreprises (2) et les micro-crèches (3) pourraient être sur-financées, attisant des abus lucratifs

- Une vigilance est enfin appelée vis-à-vis des « groupes » (4) dont l’encadrement auquel invite le rapport, concerne bien a priori plutôt le secteur marchand, mais l’associatif n’est pas totalement épargné.

1) Financement des collectivités territoriales mettant en tension le secteur associatif 

« Dans un contexte budgétaire contraint, les collectivités comme l’ensemble des administrations publiques (Etat, département, région) ont été conduites à diminuer leur engagement financier à destination des établissements associatifs. »

« Cette évolution n’a pas été compensée par l’augmentation des dépenses des EPCI, qui ont connu une augmentation, mais sur une valeur initiale très faible. De ce fait, la part des communes dans le financement des établissements associatifs a diminué de 20,4 % à 17,6 %. »

« Les gestionnaires associatifs entendus par la mission soulignent, lorsqu’ils sont financés par le biais de subventions communales, les grandes difficultés budgétaires auxquels sont confrontés leurs établissements, et décrivent la situation comme la « chronique d’une mort annoncée » du secteur associatif : ils craignent que nombreux établissements ne survivent pas aux deux années à venir. En effet, les projections pour 2023 des subventions communales ne permettent pas de prévoir des recettes pour les établissements cohérentes avec le niveau de l’inflation : si la compensation devait se faire par la CAF, cela supposerait selon la FEHAP une augmentation de 13 % de la PSU, inenvisageable à ce stade. »

« S’agissant des établissements associatifs financés par le biais d’une délégation de service public ou d’un marché public, ils sont soumis à la concurrence des établissements du secteur marchand, susceptibles de mettre en place des stratégies de bas prix, qui posent question quant à la qualité de l’accueil. »

« Des acteurs du secteur ont décrit à la mission des stratégies de prix bas comme seul critère dans les réponses aux appels d’offre des collectivités par les groupes du secteur marchand, qui conduiraient à écarter les acteurs associatifs, incapables de proposer des prix comparables. »

« L’évolution du coût de revient à la place entre 2012 et 2021 est anormalement faible pour les établissements du secteur marchand avec financement communal. »

« Ces données constituent autant de faisceaux d’indices convergents avec le fonctionnement décrit par des acteurs, à savoir que des gestionnaires du secteur marchand ont conduit à diminuer le prix à la place des établissements en délégation de service public, en proposant au réservataire public un prix très bas, et en acceptant une faible marge sur ces établissements, que compense la marge plus importante sur les crèches d’entreprise et sur les micro-crèches. »

« Cette tendance soulève un certain nombre de risques sur le maintien du niveau de qualité dans les établissements en délégation de service public. Poussée à l’extrême, une telle évolution, décrite par certains acteurs du secteur associatif et du secteur marchand comme une « course aux bas prix », peut en effet conduire à des offres anormalement basses, qui interrogent sur la capacité des gestionnaires à maintenir les taux d’encadrement et le niveau de qualification requis au sein des établissements et à couvrir les frais de fonctionnement. »

« En effet, les frais de personnel représentant une part majoritaire du coût de revient, un prix anormalement bas peut conduire à des stratégies de ressources humaines préjudiciables à la qualité (organisation de vacances de poste de durée excessive, couverture des postes vacants par des professionnels moins diplômés...), que la mission a pu constater dans un certain nombre d’établissements au cours de ses investigations sur place. »

« Néanmoins, plusieurs acteurs ont indiqué que le montant de 5 000 € pouvait être considéré comme un plancher en-dessous duquel le maintien de la qualité n’était pas envisageable, ce montant étant une estimation subjective qui demande à être reprise par un travail des administrations sur le coût de la qualité. »

« Les charges relatives aux services extérieurs, de façon à repérer les atypies consécutives à un recours excessif au travail intérimaire. La mise en regard de ces deux premiers indicateurs devrait permettre de repérer les établissements dans lesquels l’externalisation ne correspond pas uniquement à des prestations d’alimentation et d’entretien, mais à une externalisation du travail d’encadrement des enfants, dont les effets sur la qualité d’accueil s’avèrent délétères. »

« Le prix-plafond aurait par ailleurs intérêt à prendre en compte la variabilité des charges liées au foncier, ces charges étant très hétérogènes selon les territoires et les types de structure, et pouvant fausser l’évaluation globale du coût de revient. »

« La rédaction des cahiers des charges des collectivités gagnerait à faire l’objet d’un travail collectif pour élaborer un guide d’appui à la rédaction, qui permettrait de construire les meilleurs indicateurs de qualité pour discriminer les offres. A l’heure actuelle, la cotation des critères fait traditionnellement apparaître une répartition de 60 % de la note pour les critères de prix, et de 40 % pour les critères de qualité, les collectivités ayant les moyens et le souhait d’une politique volontariste sur la qualité ayant tendance à renverser l’équilibre entre les deux parties. Néanmoins, les collectivités ont un degré d’appréhension inégal de ce qui est en jeu dans ces cotations, et les indicateurs permettant de coter la qualité ne font pas l’objet d’une compréhension harmonisée. Certaines petites collectivités peuvent ainsi se trouver en difficulté pour construire un cahier des charges adapté. »

Recommandation n°23 Engager un travail approfondi sur le coût de la qualité et élargir en conséquence le contenu des contrôles des CAF
Recommandation n°24 Elaborer un guide d’appui à la rédaction des cahiers des charges pour les appels d’offre et marchés des tiers réservataires
Recommandation n°25 Mettre en place un groupe de travail (DGCS, DAJ, collectivités) sur les modalités de financement des établissements associatifs

2) Manque de visibilité et potentielle sur-profitabilité des crèches d’entreprises 

« S’agissant des crèches d’entreprise financées par la PSU, l’analyse des données financières fait apparaître plusieurs zones de risque. D’une part, on constate une progression anormalement faible des frais de personnel à la place entre 2012 et 2021 : ces frais diminuent de 2 %, et marquent un décrochage vis-à-vis de l’évolution générale des salaires et des prix, tandis qu’ils augmentent de 18,5 % dans les établissements en gestion communale, et de 11,4 % dans les établissements en gestion associative. 

Cet écart ne peut s’expliquer ni par une hausse de l’externalisation des fonctions, ni par une progression des taux d’occupation. 

Par ailleurs, les financeurs publics ne disposent pas de visibilité suffisante sur les dépenses publiques engagées en direction des établissements, et sur l’orientation effective de ces financements vers l’amélioration de la qualité d’accueil »

« S’agissant de la bonne orientation de ces dépenses publiques, le risque largement discuté par divers rapports qui ont précédé la mission tient au fait que ces multiples sources de financement contribuent davantage à l’augmentation du taux de marge des entreprises qu’à une réelle amélioration de la qualité d’accueil. Sur cette question, la mission observe les points qui suivent :

L’augmentation des recettes est peu orientée vers les frais de personnel, qui constituent un critère central de la qualité d’accueil. Entre 2012 et 2021, les frais de personnel à la place pour les entreprises du secteur marchand diminuent, de 9 444 € à 9 254 € (soit une diminution de 2 %), là où les frais de personnel des établissements en gestion communale augmentent de 12 370 € à 14 658 € (soit une augmentation de 18,5 %), et ceux des établissements en gestion associative de 9 987 € à 11 123 € (soit une augmentation de 11,4 %). »

« La faible progression des frais de personnel semble indiquer que le secteur marchand a tendanciellement recours à du personnel moins expérimenté, moins qualifié, et connaissant de faibles progressions salariales, là où les établissements publics sont soumis à des effets naturels de glissement âge-technicité, et dans un certain nombre de municipalités à des politiques indemnitaires plus favorables. »

« Certains gestionnaires avaient immédiatement revu leur tableau d’effectifs après la réforme réglementaire pour le positionner sur le plancher d’exigences en termes de niveau de qualification et de taux d’encadrement : cette stratégie de minimum réglementaire contribue de façon mécanique à restreindre les frais de personnel. »

« L’évolution du secteur marchand marque un net décrochage avec l’évolution de l’indice mixte : En 2019, avant la pandémie, la masse salariale du secteur marchand se situe ainsi à 102 sur une base 100 en 2011, là où l’indice mixte salaire/prix se situe à 114. »

« Les financeurs disposent de capacités de contrôle et d’expertise sur les modèles économiques des groupes (y compris par le biais du capital immobilier) insuffisantes. »

« L’augmentation importante des dotations aux amortissements pourrait correspondre à des stratégies d’optimisation de certaines entreprises. Une telle stratégie peut être amplifiée, dans le cas des groupes, par une imputation importante des frais de siège sur les établissements les plus rentables (en l’occurrence les crèches d’entreprise et micro-crèches), de façon à augmenter le niveau des charges de ces établissements, et à diminuer le résultat comptable. Si de telles pratiques correspondent à un pilotage du résultat classique pour un groupe, qui tend à imputer ses frais de siège en fonction de la santé économique des différents établissements, le manque de visibilité du financeur public sur ces pratiques et sur la destination de ses financements ne paraît pas acceptable. »

« Les indicateurs présentés dessinent une zone de risque importante quant à la bonne orientation des financements publics. Il convient de s’assurer que l’augmentation des financements à la place contribue à renforcer la qualité de l’accueil en permettant à un personnel mieux formé et mieux rémunéré de contribuer à l’éveil des enfants dans les meilleures conditions et non à augmenter le taux de marge des gestionnaires »

« A ce jour, la mission estime en effet que les administrations publiques ne disposent pas d’une visibilité suffisante sur le modèle économique et le fonctionnement financier d’activités pourtant très largement financées par le biais de l’argent public, et n’ont pas les moyens de s’assurer que ces financements servent exclusivement à délivrer un service d’accueil de qualité. Une telle absence de maîtrise est incompatible avec la notion de service public de la petite enfance, et appelle à une refonte des rapports entre les financeurs et les gestionnaires »

3) Profitabilité potentiellement excessive des micro-crèches

« Le modèle des micro-crèches est théoriquement le modèle le plus abouti pour permettre une qualité élevée d’accueil. […]

Néanmoins, ces établissements présentent des zones de risque très élevées, tant en raison
des dérogations règlementaires qui ont été consenties pour leur développement (voir annexe « Qualité de l’accueil ») qu’en raison des modalités de financement de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE). »

« La multiplicité des modes de financement et des natures de dépenses publiques (CMG, crédit d’impôt pour les familles, crédit d’impôt pour les entreprises, déductibilité des charges) a alimenté une controverse portant sur le financement excessif de ces établissements, qui dégageraient une profitabilité élevée en actionnant différents leviers de recettes :

En se fondant sur une méthode estimative à partir du modèle théorique des financements, et sur une étude d’échantillon, la mission IGAS-IGF de revue des dépenses de la politique familiale (2017) avait estimé que les micro-crèches pouvaient, en recourant à tous les financements à leur disposition, atteindre un niveau de rentabilité de 30 % »

« Dans tous les chiffres présentés, la profitabilité des micro-crèches PAJE paraît nettement supérieure à celle des établissements financés par la PSU : les études conduites par les missions IGAS-IGF de revue des dépenses de 2017 et de 2021 ainsi que l’étude réalisée par le cabinet Ernst and Young pour le compte de la FFEC convergent sur ce point. Les chiffres obtenus sur une étude des comptes déposés au greffe du tribunal de commerce montrent par ailleurs une profitabilité très nettement supérieure en Ile-de-France par rapport à la province : cette différence confirmerait le fait que la profitabilité des entreprises repose sur des réservations de places par des entreprises qui ne seraient pas intégralement compensées par la diminution des prix facturés aux familles.

La profitabilité est très variable selon la taille des entreprises et paraît selon toute probabilité liée à des effets de taille critique. A ce titre, la profitabilité des établissements appartenant à des groupes de taille importante pourrait être bien supérieure aux chiffres moyens présentés, d’autant que le modèle de développement des groupes repose sur le montage de SCI et de sociétés de holding dont l’analyse précise excède très largement le périmètre de cette mission. A titre intermédiaire, dans l’attente qu’une mission de contrôle ciblée puisse poser un diagnostic clair sur ces questions, deux constats intermédiaires peuvent être posés :

  • Selon l’ensemble des acteurs du secteur auditionnés, le modèle économique des micro-crèches est très fragile pour une entreprise mono-établissement. Si l’on en croit les déclarations des acteurs, l’équilibre économique ne pourrait être atteint pour le gestionnaire qu’à partir de trois établissements, seuil critique à partir duquel le gestionnaire pourrait être en mesure de se verser une rémunération. Les investigations sur place de la mission lui ont permis de constater que les petits gestionnaires ne parvenaient à atteindre l’équilibre économique et à maintenir la qualité qu’en proposant des tarifications aux familles élevées, proches du plafond fixé par le CMG structure. Des pratiques peuvent notamment consister à accoler deux micro-crèches dans un même bâtiment, ou, en cas de désaccord de la PMI, en juxtaposant dans le même bâtiment un établissement PAJE et un établissement PSU, pour permettre des économies de structures tout en appliquant le statut de micro-crèche et les dérogations normatives qui s’y attachent. Un tel modèle pose l’hypothèse d’une forte segmentation du marché entre de petits gestionnaires présentant une très faible rentabilité, et de grandes entreprises présentant des taux de croissance et de profitabilité élevés. De ce fait, les petits gestionnaires peuvent se trouver rapidement en difficulté budgétaire, d’autant qu’ils ne bénéficient pas des subventions au fonctionnement pour des besoins spécifiques dont bénéficient les établissements PSU ;

  • Cette segmentation paraît cohérente avec les chiffres avancés par la mission IGAS-IGF d’évaluation du crédit impôt famille, qui aboutit, à partir d’un calcul RNC/CA appliqué à un échantillon prélevé dans la base FARE, aux résultats suivants :

    • Environ 25 % des entreprises de crèches n’atteignent pas l’équilibre économique ou n’arrivent pas à dégager de profits ;

    • Environ 25 % des entreprises de crèches atteignent l’équilibre économique et ont un taux de profitabilité inférieur à 8 % ;

    • Environ 25 % des entreprises de crèches ont un taux de profitabilité compris entre 8 et 14 % ;

    • Environ 25 % des entreprises de crèches ont un taux de profitabilité supérieur à 14 % et en particulier quelques 5 % d’entreprises de crèches ont un taux de profitabilité supérieur à 25 %.

  • Comme le note la mission, les chiffres des 5 % des entreprises les plus rentables rejoignent les projections faites par la mission IGAS-IGF de 2017 sur les niveaux de profitabilité maximaux qui peuvent être atteints par les établissements.

Les administrations ne disposent pas sur ces questions d’une capacité de regard suffisante. En effet, parce qu’elle finance le fonctionnement des établissements d’une façon indirecte, par le biais d’une allocation versée aux parents, la branche famille n’exerce pas de contrôle financier sur les établissements, et n’est pas en mesure d’apprécier de façon précise le bon emploi de l’argent public. Par ailleurs, comme dans le cas des établissements financés par la PSU, l’absence de démarches de contrôle agrégé au niveau national ne permet pas de poser de diagnostic sur les stratégies globales des entreprises, les administrations locales se trouvant dès lors aux prises avec des pratiques dont l’origine excède leur compétence.

Cette absence de visibilité peut nourrir de nombreuses pratiques contestables. La DGCCRF, dans son enquête relative au secteur des micro-crèches, a mis en lumière diverses pratiques présentant des anomalies au sein des établissements du secteur (p.105 du Tome 2).

Les remontées des enquêtes de la mission dessinent des zones de risque significatives sur des versements indus du CMG structure. En effet, un nombre important de parents bénéficiaires de la PAJE renseignent dans l’enquête des tarifs facturés par l’établissement très supérieurs au plafond horaire de 10 euros. Le manque de regard sur les données comptables fait apparaître des risques excessifs pour la qualité de l’accueil. Au cours de ses investigations, la mission a pu constater que les micro-crèches PAJE pouvaient être des établissements de grande qualité, fondés sur un projet d’accueil attentif à l’individualité de l’enfant, comme elles pouvaient donner lieu à des dérives inacceptables du point de vue de la qualité, et à des gestions guidées par des préoccupations financières sans considération des besoins de l’enfant. »

« Cette situation représente une zone de risque très significative, d’autant plus que le secteur des micro-crèches est peu régulé, que des gestionnaires sans expérience et sans qualification dans le domaine peuvent ouvrir des établissements à des seules fins d’investissement, et que de nombreuses situations irrégulières ont été remontées »

« A terme, le manque de sécurisation de ce modèle de financement plaide donc pour une extinction du système de financement à la PAJE, qui ne présente aucune garantie sérieuse, et ne permet pas aux pouvoirs publics de disposer d’un droit de regard sur des activités qu’ils financent. »

4) Vigilance quant aux « groupes »

« Les leçons tirées en 2022 de la situation des EHPAD et des rapports entre la puissance publique et les gestionnaires privés peuvent très largement être appliquées au secteur des crèches. A ce titre, la mission rejoint en grande partie les conclusions du rapport d’information de la commission des affaires sociales du Sénat sur le contrôle des EHPAD de juillet 2022.

En effet, la situation du secteur privé (lucratif ou non) dans les établissements d’accueil du jeune enfant a suivi le même type d’évolution que dans le secteur des personnes âgées. A la faveur de dynamiques de mutualisation, de fusions et de rachats, cinq grands groupes ont acquis une domination sur le secteur »

« La recomposition du secteur, si elle permet des stratégies d’expansion qui rejoignent les objectifs de création de places des pouvoirs publics et peut accompagner des projets de qualité supérieure dans leur croissance, doit susciter une vigilance certaine, tant pour les risques de coûts financiers que représentent cette dynamique, que pour les exigences de rentabilité associées à des valorisations élevées des groupes par des fonds d’investissement [Ceci ne signifie en rien que la nature de l’actionnariat détermine la qualité des établissements : la mission a pu constater, au cours de ses investigations, des pratiques excessivement orientées vers la rentabilité au détriment de la qualité de l’accueil dans tout type de groupe, y compris dans des groupes associatifs]. L’Etat doit se garder de reproduire les erreurs faites par manque de régulation dans le secteur des personnes âgées. »

« L’évolution du secteur aurait conduit, selon les acteurs entendus par la mission, à une dégradation progressive de la qualité d’accueil au profit de logiques financières, certains groupes étant plus touchés que d’autres par ce phénomène. Plusieurs autorités de contrôle locales alertent néanmoins sur les risques d’un phénomène de contagion dans cet abaissement progressif des exigences de qualité au sein des groupes. »

« Comme dans le cas des EHPAD, la visibilité dont disposent les pouvoirs publics sur les groupes dont ils assurent très largement le chiffre d’affaires (voir plus haut) est insuffisante :

  • Les flux financiers entre le siège des groupes et leurs établissements restent opaques pour la branche famille. En particulier, la clé d’imputation des frais de siège peut ne pas être communiquée au financeur en dépit des demandes répétées de la branche famille. Comme indiqué plus haut, ces frais de siège, qui ont pour objet de financer les prestations de l’organisme gestionnaire, peuvent permettre de compenser les niveaux variés de rentabilité entre les établissements dans une logique d’optimisation fiscale et de réduction artificielle des niveaux de bénéfice ;

  • De façon plus générale, le modèle économique de ces groupes (société holding, SCI, etc.) échappe entièrement à l’analyse de la branche famille, qui ne dispose pas du mandat et des compétences pour en expertiser le fonctionnement ;

Ces groupes sont par ailleurs soustraits à l’activité de contrôle »

« Une telle situation fait peser des risques excessifs vis-à-vis de dérives qui seraient préjudiciables à la qualité de l’accueil comme au bon emploi de l’argent public et appellent les évolutions suivantes :

  • La transparence financière des groupes vis-à-vis des financeurs publics doit être renforcée, en particulier par :

    • Une obligation de transmission à la CNAF de la clé d’imputation des frais de siège et des prestations afférentes à ces frais. Une contractualisation spécifique de la branche famille avec les sièges sur le niveau des frais de siège, parallèlement à la tarification du financement des structures, permettrait d’assainir la situation ;

    • Sur le modèle du décret n° 2022-734 du 28 avril 2022 portant diverses mesures d’amélioration de la transmission financière dans la gestion des établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés au I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles, l’obligation de transmission des comptes et de l’avis du commissaire aux comptes au financeur public doit être imposée aux groupes ;

    • La faculté doit être ouverte aux services de la branche famille d’imposer, parallèlement à la récupération d’indus, des sanctions financières aux établissements et aux sièges des entreprises, en cas d’irrégularités récurrentes repérées dans plusieurs établissements du même groupe. »

Recommandation n°26 Renforcer la transparence financière dans les rapports entre les gestionnaires et les pouvoirs publics, sur le modèle des dispositions prises pour les ESSM