INTERVIEW - La parole à Maxime Baduel, délégué ministériel à l'ESS
Maxime Baduel a été nommé délégué ministériel à l'Economie Sociale et Solidaire (ESS) en novembre 2023, auprès d'Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l’Artisanat, du Tourisme et de l'ESS. Dans cette interview, Maxime Baduel revient pour nous sur son parcours, ses missions, ses objectifs pour développer l'ESS et les principaux défis à relever pour une co-construction de la politique publique ESS.
Pouvez-vous nous présenter votre parcours et les principales missions qui vous sont confiées ?
Pour ce qui est de mon parcours, je suis ingénieur en développement durable de formation, diplômé de l’ENA en affaires publiques européennes, j’ai travaillé dans le champ de la responsabilité sociétale des entreprises, notamment sur le volet dialogue social, réorganisation de société. J’ai par ailleurs travaillé pour le groupe Les Echos sur les sujets de la diversité et du handicap, et j’ai été titulaire d’une Chaire académique sur la RSE au Collège Polytechnique de Liège où j’ai écrit 2 ouvrages notamment sur la RSE et le management par la confiance.
J’ai été conseiller ministériel à l’ESS pendant quelques années au Ministère de l'écologie (Christophe Itier était à l’époque Haut-Commissaire), puis à Bercy lorsque Olivia Grégoire était Secrétaire d’Etat à l’ESS. J’étais enfin récemment directeur général de Solidarités Nouvelles pour le Logement, une association de lutte contre la grande précarité par le logement. S’appuyant sur un accompagnement par un binôme travailleur social et bénévole, l’association représente aujourd’hui 100 salarié.e.s, 1500 bénévoles en Ile-de-France principalement et avec quelques présences sur le territoire national.
Pour ce qui est de mes missions actuelles :
- Participer à la conception, à la mise en oeuvre et à la conduite de la politique publique de l’ESS du Gouvernement,
- Représenter la Ministre Olivia Grégoire à tous les niveaux national, local, européen, international,
- Animer l’ensemble de l'écosystème sur des chantiers transverses : développement de l’économie sociale et solidaire, simplification administrative etc…,
- Être le point de contact de l’écosystème sur les demandes de simplification, d'amélioration.
En matière de politique publique de l’ESS, l’architecture gouvernementale atteint un point de maturité avec un pôle ESS à la DG Trésor comptant 10 agents, et cette délégation ministérielle qui s'installe, en complète synergie avec la Ministre Olivia Grégoire, pour porter durablement les sujets du secteur.
Je suis à la tête de la Délégation ministérielle et je serai très prochainement entouré d’une équipe.
Cette maturité institutionnelle ouvre de nouvelles perspectives pour dialoguer autour des politiques publiques ESS, un dialogue qui passera par le Conseil Supérieur de l’ESS (CSESS) et par le Conseil Supérieur de la Coopération (CSC).
L'ESS est par nature transversale. Comment allez-vous travailler en lien avec les autres ministères, les services de l'Etat en région, et les collectivités territoriales et leurs réseaux ?
Ma fonction est très interministérielle, le décret précisant notamment que je suis amené à travailler à la fois avec la direction générale du Trésor à Bercy et la direction générale de la cohésion sociale auprès du Ministère des solidarités. Cette interministérialité tient aussi à la nature de l’ESS qui est présente dans tous les secteurs (santé, emploi mais aussi logement, alimentation, transition écologique ou encore transport). Je fais d'ailleurs en ce moment une tournée des directeurs d'administrations centrales afin de placer l’ESS au cœur des radars des différents Ministères. Enfin, la Ministre Olivia Grégoire porte cette interministérialité au plus haut niveau politique au sein du gouvernement.
Du côté des services déconcentrés de l’Etat, nous disposons d’un réseau de correspondants ESS sur lesquels je vais m’appuyer pour dessiner les contours d’une nouvelle organisation territoriale de l’Etat. L’objectif est de renforcer la présence des acteurs publics sur les sujets d’ESS et de mieux organiser les relais, via notamment la mise en place et l’identification d’une personne à plein temps dans chaque préfecture régionale.
Il faut discuter avec les élu.e.s locaux du RTES et les correspondants régionaux pour se demander quel serait le poste le plus utile ? à quel niveau ? avec quelles fonctions ? afin d’organiser le maillage territorial de l'État de la façon la plus efficace possible.
Par ailleurs, le rôle des CRESS doit aussi s’affirmer. Nous en reparlerons dans les prochaines semaines dans le cadre de la reprise des travaux d’ESS France sur leurs missions d'accueil et d’orientation. Nous devons réfléchir à la manière dont nous pouvons faire des CRESS un vrai outil, une porte d’entrée pour les porteurs de projets, quel que soit leur niveau ou leur statut. Cela passe par un lien affirmé avec les régions, avec les départements et avec l’ensemble de l'échelon territorial (le RTES est un excellent point d’entrée pour cela). Cela suppose aussi de réfléchir à leurs liens avec les chambres consulaires. Celles-ci ont encore une vision de l’ESS caritative, et parfois associative, et passent ainsi à côté de leur rôle majeur dans le développement économique territorial.
Quels sont les principaux défis que vous avez déjà identifiés pour les politiques publiques de soutien à l'ESS et pour les acteurs de l'ESS ?
Il s’agit des 4 points de notre feuille de route pour l’ESS :
1. Renforcement du volet territorial :
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Des moyens humains supplémentaires pour l'ESS dans les préfectures, avec un équivalent temps plein dédié à l’ESS dans chaque préfecture en région pour accompagner la formation et la création d’entreprise,
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Le développement des Pôles Territoriaux de Coopération Economique (PTCE) avec la mise en place d’un budget de 2,5 millions d’euros par an dédiés dont un million à la création et à la structuration de nouveaux pôles, et le maintien de l’AMI annuel.
2. Développement des modes d’entreprendre de l’ESS : 2 modes d’entreprendre, qui ont vocation à dynamiser l’ESS et à polliniser l’économie conventionnelle, sur lesquels j’aimerais particulièrement travailler en 2024 :
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Les coopératives et notamment les SCIC comme mode d’entreprendre privilégié au service d’une action collective de proximité répondant à des besoins et enjeux sociaux comme environnementaux à l’échelle d’un territoire (j’ai par exemple été contacté par Mayotte autour de la mise en place d’une SCIC pour la gestion de l’eau et de la lutte contre l’habitat insalubre)
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Les sociétés commerciales de l’ESS et plus particulièrement l’agrément ESUS : nous allons conduire un grand chantier autour de la dématérialisation de cet agrément. Aujourd’hui, que représente une société commerciale de l’ESS ? Que permet l’agrément ESUS ? Quelles sont ses limites (lisibilité, fléchage vers des politiques publiques, des modes de financements) et comment donner un élan à cet agrément pour renforcer son attractivité et qu’il devienne une évidence.
Selon nous, l'agrément ESUS et les SCOP sont les formes les plus cohérentes et les plus fécondes de l'ESS, celles qui lient aux mieux les exigences de citoyenneté économique (gouvernance), de justice (partage de la valeur) et de contributions sociales et environnementales positives.
3. Renforcement du financement de cette économie, avec notamment :
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La création d'un fonds spécifique d’amorçage dédié aux projets de l’ESS dans les territoires ruraux d'un million d’euros par an sur trois ans.
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La volonté de réformer les fonds solidaires (dits 90/10) pour des fonds 85/15, ce qui permettrait de flécher 800 millions d'euros supplémentaires vers l'ESS (15% des fonds et non plus 10 vers des projets d'économie sociale et solidaire)
4. Etre au rendez-vous en matière d’Europe et international :
La France a activement favorisé l’adoption de la résolution à l’ONU et la reconnaissance de l’ESS dans la recommandation aux Etats membres publiée par le Conseil de l’UE il y a quelques semaines et notamment par la Présidence espagnole. La France a donc un rôle à jouer en raison de la maturité, de la légitimité et de la richesse de son écosystème ESS.
Il faut créer les conditions pour inspirer le reste de l’économie à travers la valorisation de ce que les acteurs ESS font. Il faut créer ce réflexe d’institutionnalisation de l’ESS, et construire ensemble la réforme de l’Etat sur l’ESS et ses dispositifs. Maintenant qu’on a ce niveau de maturité, les bonnes instances (avec par exemple le CSESS et le CSC, où se mêlent représentants de l’ESS, réseaux d’élu.e.s et administration), les bons modes d’organisation et les effectifs, il faut qu’on travaille ensemble à construire une politique publique de l’ESS qui nous ressemble.
Vous avez récemment rencontré les administrateurs du RTES. Quelle est votre vision du rôle des collectivités territoriales dans le développement de l'ESS ? Comment voyez-vous la suite de ces échanges et les futurs travaux à mener ensemble ?
Il est toujours utile de rappeler que l’ESS n’est pas une économie planifiée, mais qu’elle est une économie hétérogène, ancrée dans les territoires et porteuse de solutions à des problèmes de nature et de réalité différentes. Pour ces raisons, il y a un enjeu majeur dans l’ESS : la coopération territoriale. Les collectivités et leurs élu.e.s ont un rôle fondamental et moteur (et toujours dans des alliances entre le public, l’ESS et parfois le secteur privé pour les financements) car il y a une connaissance plus fine du territoire, des leviers d’actions possibles en fonction des compétences associées propres aux échelons des collectivités.
Je pense notamment à l’engagement clé des collectivités pour la réussite des PTCE ou encore des SCIC. Je pense notamment au besoin de renforcer des synergies à différents niveaux en créant des stratégies régionales de l’ESS qui mobilisent des écosystèmes d’acteurs de l’ESS matures pour renforcer des politiques publiques et répondre aux besoins rencontrés par les citoyen.ne.s sur le territoire.
J’ai été ravi d’avoir cet échange avec les élu.e.s du RTES, le premier d’une série d’autres échanges. Si je devais faire passer un message, c’est que l’ESS se déploie au-delà de tous les clivages partisans. Elle crée les conditions de la délibération partagée et du travail collectif en articulant l’intérêt mutuel avec l’intérêt général. Je serai toujours ouvert à toutes les discussions, à tous les espaces d’échanges et à toutes les instances de dialogue, et je serais volontaire pour en créer d’autres si besoin. Il faut prendre le temps de l’écoute et du partage, de la co-construction, afin de saisir au mieux les réalités territoriales, comprendre les besoins, consolider l’efficacité de nos réponses et de nos actions en identifiant les meilleurs leviers à activer.