Compte-rendu du webinaire du RTES : "Les politiques publiques locales de l'ESS"
A l’occasion de la sortie de l’ouvrage “Les politiques locales de l’économie sociale et solidaire”, et des 10 ans de la loi sur l'ESS, le RTES co-organisait avec Grenoble Alpes Métropole ce 19 juin 2024 une première rencontre de présentation et d'échanges autour de l'ouvrage devant plus de 70 participant.e.s en ligne. L'occasion de revenir sur 20 ans de politiques locales de l'économie sociale et solidaire, avec des illustrations de la politique grenobloise, et de proposer quelques conditions de développement de ces politiques. Compte-rendu complet et replay à retrouver ci-dessous :
Retrouvez le replay du webinaire en cliquant ici
Retrouvez également l'article « Les Politiques locales de l’économie sociale et solidaire » : la progression à pas feutrés d’un modèle de proximité - Le Monde, publié le 22 août 2024
Christophe Ferrari, président de Grenoble Alpes Métropole
Le bouleversement démocratique que nous vivons rend crucial le rôle de l’ESS constate Christophe Ferrari.
La Métropole de Grenoble, pionnière dans l’engagement envers l’ESS, a un rôle essentiel d’animatrice et de facilitatrice au sein de son écosystème, qui compte environ 200 acteurs de l’ESS. La clef pour construire un territoire résilient, social et solidaire, est la coopération et l’accompagnement. Une des transformations à atteindre est d’“horizontaliser” la gouvernance.
Grenoble poursuit un but de relocalisation de l’économie. L’ESS représente dans l’économie du territoire 10% des emplois et 12% des entreprises du territoire. En 2021, une feuille de route a été co-construite avec les acteurs de l’ESS, à l’unanimité, avec pour objectif de sensibiliser et communiquer sur l’ESS, créer et développer ses activités, y dédier un champ de recherche, de prospectives, d’expertise et d’expérimentation.
La Métropole soutient les projets de plusieurs manières : par des appels à projets (500 000 euros par an), par d’autres politiques métropolitaines, comme celle de l’insertion emploi pour les Structures d'insertion par l'activité économique (SIAE), via la commande publique (environ 5 millions d’euros et l’élaboration d’un schéma de promotion des achats socialement et écologiquement responsables (SPASER)), via la prise de participation au capital des SCIC, et par l’immobilier (acquisition immobilière).
Exemple : le Pôle R inauguré en décembre 2023 où travaillent de nombreuses structures de l’ESS, pour un territoire plus sobre et plus résilient. Un projet important pour Grenoble-Alpes Métropole et qui démontre la capacité des acteurs du territoire à travailler en réseau. R comme réemploi, réutilisation, réparation, reconditionnement, recyclage ou encore réinventer. Sur un terrain de 15 000 m2, ce nouveau site métropolitain dédié à l’économie circulaire rassemble une quinzaine d’entreprises et d'associations spécialisées dans la réparation et le réemploi d’objets du quotidien ainsi que dans la lutte contre le gaspillage alimentaire et les emballages. Avec un objectif : accompagner chacun dans ce changement de modèle de production et de consommation. La Métropole a mobilisé 290 entreprises pour construire cette stratégie à partir des besoins exprimés par les acteurs économiques et soutient des projets innovants (enveloppe de 100 000 €/ an et subvention maximum de 20 000 € par projet). En amont, son rôle a été central dès l’acquisition du site fin 2020 et plus de 8 millions d’euros ont été investis au total.
Anne-Laure Federici, déléguée générale - RTES
Merci à Christophe Ferrari pour sa présence et son intervention. Ce n’est pas un hasard que le 1er temps d’échanges autour de l’ouvrage “Les politiques locales de l'économie sociale et solidaire”, soit organisé à Grenoble, une des collectivités fondatrices du RTES il y a un peu plus de 20 ans, et ville qui a eu la chance d’accueillir Danièle Demoustier (“L'ESS entre développement social et développement durable”, l'exemple de la métropole grenobloise). C’est à l’occasion des 20 ans du réseau que nous avons souhaité engager un travail de bilan et de prospectives des politiques locales d’ESS, avec des apports de chercheurs et des regards croisés d’élus sur leur politique.*
C’est à l’occasion des 20 ans du réseau que nous avons souhaité engager un travail de bilan et de prospectives des politiques locales d’ESS, avec des apports de chercheurs et des regards croisés d’élus sur leur politique, affirme Anne-Laure Federici.
Présentation de l’ouvrage Les politiques locales de l'économie sociale et solidaire
Laurent Fraisse, sociologue et chercheur associé - Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Économique (LISE / CNAM-CNRS)
Clin d'œil à l’ouvrage "Action publique et économie solidaire", chapitre “ Grenoble : l'agglomération vers une régulation de l'économie plurielle”, un des premiers travaux sur les politiques locales ESS publié en 2005 par Laurent Fraisse et l’ancien élu de la Métropole de Grenoble Jean Marc Uhry.
Vous retrouverez dans cet ouvrage :
- un travail de déchiffrage de ces 20 dernières années de conceptualisation de l’ESS en lien avec les territoires. En 1994, l’ouvrage de Claude Vienney, "L’économie sociale", n’abordait quasiment pas la dimension territoriale et les relations avec les collectivités locales. En 2023, l’ouvrage de Timothée Duverger dans la même collection, "L'économie sociale et solidaire", analyse et questionne la place de l’ESS dans les différentes échelles de territoire, et ses liens avec les collectivités, et les politiques publiques.
- un chapitre, rédigé par Michel Abhervé, met en évidence la progression du nombre d’élu.es depuis 20 ans en charge de l’ESS. Il est important de souligner que la délégation ESS parmi les élus est un choix politique, car il n’y a pas d'obligation imposée aux collectivités. Dans les années 2000, le champ de l’ESS était mal défini.
Aujourd’hui, l'écosystème territorial de l’ESS fait référence à l’interdépendance entre des élus locaux, des têtes de réseaux sectoriels ou généralistes, des structures d’accompagnement et financement, des entrepreneurs, des initiatives, des Chaires et des formations qui interagissent pour construire un champ légitime de l’ESS. Les élus et les politiques publiques locales ont largement participé à construire et financer cet écosystème.
Eclairage 1 : Le tournant territorial des politiques ESS
Amélie Artis, professeure des universités en Sciences Economiques - Sciences Po Grenoble-UGA (responsable de la Chaire ESS de Sciences Po Grenoble) a coécrit le chapitre “Le territoire comme espace d’interaction entre ESS et action publique locale”, faisant la focale sur les politiques publiques territoriales.
Historiquement, l’ESS en France est ancienne. Des dates significatives et des lois en faveur de l’ESS sont retracées. Notamment, la loi 2014 qui reste la seule loi transversale de l’ensemble des compétences et des organisations de l’ESS, et au niveau national un aboutissement de ce que devient désormais l’ESS comme action publique, contrairement à son ancien traitement à travers ses formes organisationnelles.
La loi n’est cependant pas la seule forme de politique publique pour l’ESS ; en 1981, sa présence nationale existe avec la 1ère Délégation interministérielle à l’Économie Sociale rattachée au 1er Ministre. Néanmoins, un affaiblissement est perçu de sa représentation au niveau national par la suite, expliqué par les difficultés rencontrées de faire reconnaître l’ESS comme un objet politique ou d’action publique à part entière. En effet, les différents référentiels dans les politiques nationales à l’ESS causent une ambiguïté : est-ce qu’on reconnaît l’ESS pour ce qu'elle est ou ce qu’elle fait ? De plus, face au contexte de mondialisation, les lois de décentralisation et la territorialisation se renforcent.
On peut souligner deux caractéristiques importantes des politiques d’ESS, la notion de transversalité, qui questionne l'approche sectorielle ou en silo des politiques publiques envers l’ESS, et la notion de gouvernance démocratique qui met en avant l'horizontalité des prises de décision avec la co-construction des acteurs.
Aujourd’hui, il existe 3 types de politiques structurantes : les politiques sectorielles, transversales et d’ordonnancement. Le Pôle R entre dans la dimension transversale des politiques locales : pas de budget propre, mais des cofinancements d'actions et de projets ESS.
Les conditions de réussite pour la transversalité reposent d’abord sur la volonté et le portage politique, puis sur le suivi d’une feuille de route, assurant d’inscrire les actions dans la durée. Des indicateurs et des évaluations, notamment sur les ressources humaines et les compétences spécifiques mises à disposition par une politique participative, sont encouragés.
Exemple : Grenoble Alpes Métropole assure un poste de vice-présidente déléguée à l’ESS permanent, accompagné de services et moyens dédiés, et ce depuis 2001.
Pour conclure ce chapitre, l’évolution des caractéristiques politiques en faveur de l’ESS est en cours, avec des questions sur les référentiels, les périmètres et les représentations. Les politiques publiques font face à 3 enjeux importants : les tensions sectorielles et intersectorielles, le choix des référentiels pour faire consensus politique, et le rôle même de l’ESS à définir, en tant que motrice de changements ou simple accompagnatrice des transitions.
Pour aller plus loin :
- Kit Communes, intercommunalités & ESS : La transversalité des politiques d’économie sociale et solidaire
- Kit RégionalESS : Co-construction et transversalité des politiques d’ESS
- Points de RepèrESS : Co-construction des politiques publiques
- RepèrESS : L’ESS : une opportunité pour repenser la coopération et la transversalité ? (Etude exploratoire et regards croisés)
Anne-Laure Federici, déléguée générale - RTES
Concernant l’articulation entre la politique nationale et les politiques locales de l’ESS, on peut rappeler le rôle important du Secrétariat d’Etat et l’économie solidaire en 2000, avec Guy Hascoët, et les 1ers élus en charge de l’ESS dans les villes après les élections municipales de 2001. C’est à cette époque que le RTES est né. L’Etat proposait aux collectivités qui mettaient en place un plan de développement de l’ESS des conventions territoriales, qui devaient financer la moitié des actions.
L’Etat a également à cette époque financé des dynamiques territoriales d’acteurs (par exemple en Nord-Pas-de-Calais l’Apes, Acteurs pour une économie solidaire)
Les politiques publiques à l’échelle locale ont été construites sous l'impulsion des acteurs ESS à l’échelle locale (co-construction). La maturité de l’écosystème a permis l’adoption de la loi sur l’ESS de 2014 (loi que les acteurs de l’ESS ne revendiquaient d’ailleurs pas forcément auparavant…).
Pour aller plus loin : Evaluation de la loi ESS 2014 - webinaire par le RTES
Cyril Kretzschmar, ancien élu régional en charge de l'économie de proximité - Région Rhône-Alpes
Je voudrais d’abord saluer quelques élu.e.s pionniers dans la Région, comme Ghislaine Gouzou-Testud, 1ère adjointe ESS à la ville de Lyon, Dounia Besson, et Jean-Marc Leculier à la Région, et souligner également le travail des agents.
Dans la loi Hamon se trouve la définition des Pôles Territoriaux de Coopération Économique (PTCE), la concrétisation du rôle politique des CRESS en tant qu’instance représentative, et la création des conférences régionales de l’ESS. Cependant,
“la loi 2014 n’apporte rien de fondamental à la relation entre territoire et ESS” fait remarquer C.Kretzschmar.
L’ex Région Rhône-Alpes a témoigné et a été à l’initiative de plusieurs actions pionnières. En 2008, la Région a engagé un des 1ers contrats sectoriels de l’économie sociale et solidaire de France. Ce contrat s’inspirait du secteur de l’artisanat, et réunissait la Région, l’Etat, la Caisse des Dépôts et Consignations, et la CRESS. Cet espace, qui a aussi joué un rôle d’apprentissage à l’ESS pour certains élus, s’est ouvert ensuite aux autres niveaux de collectivités qui s’engageaient dans le soutien à l’ESS, des départements, des villes comme Lyon et Grenoble, Saint-Etienne, et des intercommunalités comme Biovallée.
Cette affirmation du rôle important d’impulsion des politiques locales de la Région s’est retrouvée à la même époque dans d’autres régions (Nord Pas de Calais, Aquitaine,..).
Ce rôle de la Région s’inscrivait dans une philosophie de soutien au développement local. La relation entre économie sociale et économie de proximité (artisanat, petit commerce, action publique, instituteurs, médecins, retraités…) a été travaillée en lien avec des économistes qui ont aidé à réfléchir ce sujet. Cette approche s’est peu à peu substituée à la dynamique sectorielle, qui n’avait soutenu que les réseaux régionaux (CRESS, CROS, Coorace,..) avec peu de déploiements dans les territoires.
Un dernier point souligné est celui du risque d'instrumentalisation. La CRESS était devenue le bras armé du contrat sectoriel, ce qui était intéressant, mais la rendait très dépendante de la Région. La CRESS perdait son rôle porteur de dynamique autonome, et son rôle d’instance représentative des acteurs de l’ESS. On devient vite le sauveur, le tyran et le martyre.
Eclairage 2 : L’ESS, levier de formes économiques innovantes pour une transition écologique et solidaire
Eric Prunier, directeur de la régie de quartier d’Echirolles et membre associée - SCIC Fabricanova
La Fabricanova à Grenoble est une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) créée en 2020 dans le cadre du Schéma Directeur Réemploi/Réparation adopté par Grenoble Alpes Métropole. Elle réunit un collectif d’entreprises, d’associations et de collectivités iséroises au service du réemploi. Ce schéma s’inscrit dans une stratégie de création d’un Pôle Métropolitain dédié à l’économie circulaire, visant à réduire la consommation de ressources et la production de déchets.
Ce projet a commencé avec la volonté de la Métropole de se tourner vers les acteurs locaux pour effectuer un changement d’échelle et commencer un travail en commun. C’est un exemple de rôle structurel des métropoles comme expliqué précédemment. Les premières réunions ont commencé en 2019. La Métropole a donné l’impulsion au projet, l’a accompagné et co-construit tout au long. Fabricanova a grandi avec la Métropole, et est dimensionnée pour répondre à ses besoins. Une articulation forte de la politique ESS locale avec celles plus larges, comme l’obtention d’un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) d’une manufacture de proximité.
Pourquoi une SCIC ? Pour le côté démocratique, où chaque parole est écoutée peu importe la taille de la structure, et pour la possibilité d’associer pleinement la collectivité locale aux activités. Une décision qui correspond à l’idée d’associer une logique de projet éthique avec une économie commerciale.
Fabricanova a intégré le Pôle R il y a 1 an, ce site emblématique de l’ESS sur le territoire, qui apporte de nouvelles activités. Aujourd’hui, ce sont 12 associés autour du réemploi qui couvrent le territoire. Certains ont des locaux sur site, ce qui alimente une synergie entre les membres. L’activité du collectif s’étend aussi hors des murs, avec des missions de collecte (jouets, encombrants récupérés au porte-à-porte, dans des donneries…). Dans le fonctionnement, les associés sont des sous-traitants de la SCIC. Il n’y a qu’une salariée à Fabricanova. C’est une structure commune nouvelle bâtie autour d’une délégation de missions envers les associés : ULISSE Grenoble Solidarité s’occupe des tâches RH et social, ENVIE Rhône-Alpes gère la comptabilité, Qualirec coordonne les marchés… Fabricanova s’est inspirée de modèles extérieurs, mais son élaboration particulière autour des 12 associés présents en a fait un projet unique en son genre.
Lionel Coiffard, vice-président chargé de la prévention, de la collecte et de la valorisation des déchets - Grenoble Alpes Métropole
Le point de départ politique de la Métropole, pensé par le vice-président prédécesseur, était une analyse de la grande réforme politique des déchets métropolitains. Elle visait à s’occuper de détourner des flux de “faux” déchets, c’est-à-dire des objets réparables ou neufs et de relocaliser des formes nouvelles de recyclage, par exemple des pièces détachées de matière en phase de destruction (par incinération) ou de recyclage, en les recarbonnant en amont. Les déchets qui représentent environ 400 000 tonnes par an suivent une logique de gisement, où la moitié est incinérée et l’autre recyclée.
Mais que faire avec les 5 à 20% de matériaux globalement détruits, ou qui coûteraient trop chers à faire recycler, et dont les modes de recyclage ne sont pas compatibles avec la transition environnementale ? C’est pourquoi il faut sur le territoire des outils capables de résoudre cette question en restant local, en suivant la Théorie du Donut, soit de répondre aux besoins des personnes dans la limite de ce que la planète peut offrir.
Exemple : Le textile. Il y avait une cinquantaine de bornes textiles de collecte sur le territoire. Aujourd’hui, un dispositif de 450 bornes est déployé sur le territoire. Chacun des acteurs du projet doit être interpellé pour réussir. Dans ce cadre, Emmaüs organisait des ateliers textile, qui alimentaient la création d'emplois ESS et l’économie circulaire.
Pour en revenir à Fabricanova, les membres se connaissaient déjà mais rencontraient des difficultés à travailler en partenariat, une cohésion nécessaire rudement menée par Eric Prunier. La plateforme de massification de 14 000 m², avec 8000m² de bâtiment exploitable, a permis le regroupement physique des activités autonomes. Grâce à ce partenariat, la Métropole peut reprendre la main sur les faux déchets. Les premières années de fonctionnement sont prometteuses. Dans le programme, une idée supplémentaire est de faire du 3e bâtiment en rénovation une pépinière, en faisant référence à Alpes Consigne.
“A l’intérieur de la collectivité, il faut des élus passionnés du sujet, accompagnés de techniciens. Il faut une cohésion politique et un appareil administratif.” explique Lionel Coiffard.
Parmi les facteurs qui ont permis ce projet, celui du portage politique fort, et l’importance d’avoir une logique partagée au-delà des courants politiques divers au sein de la majorité. Nous avons la chance d’échanger régulièrement avec les vice-présidents en charge de l’énergie, des finances, à l’agriculture. Il est essentiel de partager les raisons, sinon on perdrait les arbitrages financiers. Le financement de 10 millions d’euros du Pôle R par exemple n’aurait pu être réalisé uniquement avec la politique ESS et économie circulaire. Il est essentiel d’avoir une vision politique, stable dans la durée, pour permettre la concrétisation de projets aussi importants.
Eclairage 3 : La co-construction des politiques publiques locales
Laurent Fraisse, sociologue et chercheur associé - Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Économique (LISE / CNAM-CNRS)
La co-construction est un terme revendiqué par les élus pionniers des politiques locales et le RTES. C’est un processus ouvert, institué de participations d’acteurs non institutionnels à l’élaboration, au suivi et la construction des politiques publiques.
C’est une posture pour faire de l’action publique autrement, en cohérence avec les valeurs portées par l’ESS (solidarité, démocratie, coopération) mais aussi par intérêt, une stratégie qui permet pour les élus n’ayant pas accès à des ressources politiques administratives très importante au sein de leur collectivité, de s’appuyer sur l’expertise et la légitimité des acteurs de l’ESS afin de pouvoir se légitimer en interne et réaliser des actions concrètes. C’est un mode d’élaboration innovant mais minoritaire, avec une certaine prise de risque pour les élus et les techniciens, qui se distingue du décisionnisme (l’ensemble des problèmes et des solutions qui remontent à l'élu qui tranche), du technocratisme (l’administration élabore les politiques publiques avec l’appui du cabinet conseil). Il s’agit bien d’une interaction publique avec la société civile, contrairement au lobbyisme.
La co-construction signifie une co-décision du plan d’action, d’une validation par une instance délibérative qui engage la collectivité, et d’une co-gestion des budgets et moyens à mettre en œuvre, pouvant être source de conflits.
Pour aller plus loin :
Convaincu de l’importance des démarches de co-construction qui renouvellent les modes d’action publique, le RTES s’est engagé en 2018 dans une démarche partenariale de recherche-action de 2 ans sur la co-construction des politiques publiques. Retrouvez notamment la visioconférence co-organisée avec IDEAL Connaissances pour présenter et mettre en discussion les analyses et réflexions de l’étude, et l’ouvrage publié à l’issue de ce travail : La co-construction de l’action publique : définition, enjeux, discours et pratiques, Laurent Fraisse, 2018.
Cependant, les élus ESS ont difficilement la main sur certaines politiques publiques, par exemple sur l’ensemble de celles structurant le champ social et médico-social, pourtant importantes lorsqu’on parle d’ESS. La co-construction se joue soit dans les politiques locales dont les référentiels sont en consolidation (ESS, politique de la vie associative, politique culturelle, politique jeunesse, politique de transition écologique…), soit dans les politiques d’innovation sectorielle, ou dans les dispositifs nationaux d’expérimentation. L’enjeu de co-construction dans le changement d’échelle doit aussi interpeller les politiques et élus ESS.
Elizabeth Debeunne, vice-présidente à l’Économie sociale, solidaire et circulaire - Grenoble Alpes Métropole
La coopération est l’ADN de l’ESS. La coopération sur la métropole s’effectue avec plus de 200 acteurs. A Grenoble Alpes Métropole, l’équipe est composée d’agents engagés et très présents auprès des structures. Des rencontres régulières, agents-élus-acteurs permettent de construire des synergies, d'avoir des retours, de noter des pratiques, les difficultés rencontrées… afin d’affiner l’aide et le soutien de la Métropole. Et de travailler en cohérence à la promotion de l'ESS. Pour ce faire, des tables rondes sont organisées ainsi que des temps d’atelier autour de thèmes, notamment transversaux (le changement d’échelle, la qualité de vie au travail, la gouvernance…). Dans un deuxième temps, il s’agit d’en faire une synthèse qui va permettre d'alimenter les recherches et les orientations de la métropole, et de travailler à répondre aux besoins énoncés. Au fur et à mesure, les politiques publiques ESS s’affinent et les structures ainsi que les élus sont dotées d’une meilleure interconnaissance.
En interne, le travail de coopération s’effectue également au sein de la Métropole, avec une grande transversalité : politique de la ville, réinsertion, réemploi… Le comité de pilotage composé de 15 vice-présidents se rencontre 3 à 4 fois par an, notamment pour évaluer les demandes de subvention. Ces moments sont propices à l’appropriation de la culture autour de l’ESS, car tous sont concernés, à travers des visites apprenantes par exemple, des temps forts avec les acteurs de table ronde et débats.
- Les agents de la Métropole accompagnent des communes dans la commande publique ESS, c’est le cas pour 4 ou 5 communes. Un soutien financier sur deux volets, notamment avec les outils d'accompagnement Ronalpia, Gaia, l’Urscop : les appels à projet (annuel sur le réemploi, l’énergie, l’alimentation, avec une subvention de 500 000 euros).
- L'accompagnement des porteurs de projets.
L'animation du territoire est fondamentale avec beaucoup d’événements à l’année (le forum des métiers, des conférences, des speed meeting…) qui incluent l’ESS. Autre type d’action, la Métropole propose des hôtels d’activité, en s’inspirant du modèle Artis (Artisanat et innovation sociale) à Echirolles, Grenoble et Fontaine, trois hôtel d'activités artisanales et d'économie sociale et solidaire sur le territoire qui favorisent la coopération et la transversalité. Une bonne manière d’interconnecter cette économie solidaire avec l’économie classique.
Autre initiative dans le sens du décloisonnement, la Métropole a lancé le 22 janvier 2021 le Pacte Économique Local, une démarche collective visant à soutenir la résilience économique et l'attractivité du territoire Grenoble Alpes. 31 acteurs publics et privés, parmi les plus importants employeurs de la région grenobloise, s’engagent en faveur des transitions écologiques, énergétiques, numériques et sociétales afin de répondre aux crises sanitaire, sociale, économique et environnementale. Un Pacte initié par les 3 collectivités majeures du bassin grenoblois (Grenoble Alpes Métropole, le Grésivaudan et le Pays Voironnais). Des passerelles favorisant l’interconnaissance entre les acteurs de l’économie classique et de l’ESS sont faites à travers des rencontres régulières. Des partenariats ont déjà émergé, par exemple entre un laboratoire de recherche médicale et une association s'occupant de personnes sans domicile fixe.
"L’ESS est importante dans ces coopérations : c’est une économie politique, une société basée sur l’humain, l’environnement et la solidarité. Une société que la Métropole Grenoble veut promouvoir" affirme Elizabeth Debeunne.
Conclusion : Entre continuité, tournant territorial et transformation écologique. Quels scénarios pour les politiques locales de l’ESS ?
Laurent Fraisse, sociologue et chercheur associé - Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie Économique (LISE / CNAM-CNRS)
Présentation des différents scénarios.
> Scénario 0 : l’effondrement
Il s’agit d’une régression progressive de l’ESS dans les organigrammes et agendas des collectivités locales, un scénario que nous avions écarté avec la dynamique de progression des élus. Néanmoins le contexte actuel amène peut-être à le réintégrer.
> Scénario 1 : La consolidation et diffusion d’une politique locale de la reconnaissance par des instruments spécifiques de soutien à l’ESS
Un scénario de la continuité des instruments (appels à projets, animation territoriale, renforcement des écosystèmes de l’ESS, politique de financement et d’accompagnement…) qui a l’avantage d’être lisible pour un nouvel élu par exemple, et d’atteindre un consensus politique dont la vision est d’inscrire l’ESS dans une économie plurielle territoriale, en la valorisant. Mais il existe un risque de faire de l’ESS une niche, une ESS qui ne serait donc pas transformatrice, ni de l’action publique ni des orientations du développement territorial.
> Scénario 2 : Décloisonner les politiques locales de l’ESS : transversalité, co-construction et coopération
La transversalité : comment l’ESS répond à l’ensemble des enjeux et politiques sectorielles du territoire, s'y inscrit pleinement, et n'est pas uniquement portée par l’élu dédié à l’ESS mais bien par un ensemble d’élus ainsi que par une politique structurelle de la collectivité.
La co-construction : en faire un mode d’élaboration des politiques publiques au-delà de l’ESS dans le politique. Des témoignages prouvent que c’est possible, à travers la politique des déchets par exemple.
La coopération : promouvoir la coopération territoriale comme un horizon de coordination entre acteurs ESS, voire un mode de régulation et de développement territorial.
> Scénario 3 : Transformer l’action publique locale pour faire de l’ESS un levier de régulation de l’économie plurielle et d’une autre conception de la richesse des territoires