TRIBUNE | Quels services à la petite enfance sur notre territoire ? Quand des collectivités font le choix de miser sur les structures associatives locales
Quels services à la petite enfance sur notre territoire ? Quand des collectivités font le choix raisonnable de miser sur les structures associatives locales
A l’heure où sort l’ouvrage "Les Ogres" de Victor Castanet, qui dénonce le mauvais traitement réservé aux enfants dans les micro crèches et met ainsi en évidence les abus de la logique libérale, il est utile de se reposer la question de l’offre de ce type de service sur notre territoire.
Alors qu’il est de bon ton de se plaindre du manque de service en milieu rural, la faiblesse démographique et économique de nos zones a au moins un avantage : parce que peu porteurs de potentiels lucratifs, nos territoires intéressent peu les ogres, autre qualificatif des acteurs économiques peu scrupuleux qui veulent faire de l’argent en proposant des services bas de gamme.
Une pluralité d’associations locales - la montagne, la petite et la grande récré, Familles Rurales, la maison de Courcelles - couvrent aujourd’hui notre territoire d’une offre de services à la petite enfance : crèches, centre de loisirs, périscolaire, distribution des repas, pratiques culturelles et sportives diverses sur le territoire… La qualité de ces services est reconnue et c’est une force.
Parce que nous avons une multiplicité de structures, l’offre est plurielle, et nous avons une large gamme de services et d’offre d’activités pour les enfants, qui n’a rien à envier à un tissu urbain ;
Parce que ce sont des associations qui ont un conseil d’administration, les parents ont un droit de regard important sur les activités et sur le projet éducatif sous-jacent ;
Parce que les acteurs du territoire, associations et élus, ont une volonté de qualité de l’offre de service, les repas proposés aux enfants de ces structures sont en partie issus de produits locaux, luttent contre le gaspillage alimentaire et sensibilisent les enfants au goût et à la diversité alimentaire, autant d’éléments facilités par le fait que le territoire ait un projet alimentaire territorial, qui vise à renforcer l’autonomie alimentaire du territoire.
Bref, une offre locale à des années lumière de ce qu’on a entendu sur les ondes au moment de la sortie du livre de Castanet. Tout n’est pas rose, les structures sont fragiles, des services peuvent toujours être améliorés ; nous le voyons régulièrement ; des soucis peuvent survenir et le maintien de ce service associatif reste un combat collectif quotidien mené par les acteurs locaux et soutenu par les élus ; mais la volonté collective d’assurer un service de qualité et accessible en tarif reste bien l’objectif commun ; bref, le bon sens reste de mise avec les difficultés que cela induit ; nous avons jusqu’à présent su résister aux quelques propositions de structures parisiennes à meilleur tarif pour la collectivité.
Si nous échappons aux dérives d’une logique du tout fric qui vise à faire des profits sur le dos des plus fragiles (enfants et personnes âgées), c’est parce que nous réunissons 3 conditions :
Des acteurs locaux se mobilisent et s’organisent pour créer une offre de services : notre territoire bénéficie largement de la forte densité associative portée depuis des années par les Foyers Ruraux et Familles Rurales.
Les élus locaux portent une volonté politique du maintien de ces services et ont jusque là toujours fait le choix de faire confiance à des associations locales plutôt que d’aller chercher des services externes, peut-être moins chers mais plus déconnectés du territoire. La volonté politique du maintien de cette qualité a été constante sur le territoire depuis 3 décennies.
Le dialogue entre acteurs et collectivités existe.
Il faut être conscient de cette alchimie locale, conscient aussi de sa fragilité, de ses limites pour la maintenir et l’améliorer. Le coût de ce service à l’heure où des économies croissantes sont demandées aux collectivités, une logique de consommation de services au détriment d’une logique d’implication dans le fonctionnement associatif, des exigences administratives toujours plus importantes, qui, on le voit à travers le scandale des crèches, protègent finalement mal les usagers, un renouvellement d’une génération de responsables associatifs militants de l’éducation populaire,… sont autant de menaces à venir sur le modèle en place. Soyons en collectivement conscients pour anticiper et préparer l’avenir.
Organiser des services aux populations, en tenant compte des besoins de celles-ci, en leur demandant leur avis, en développant de l’emploi local, de la richesse économique qui reste sur les territoires sans alimenter des fonds de pension ou le seul enrichissement de quelques-uns, en maintenant une qualité de service éducatif, c’est exactement ce que permet l’économie sociale et solidaire ; souvent regardée comme un secteur militant, un secteur qui vit sous perfusion de crédits publics, un secteur de bienfaisance, bref un secteur de bisounours au mieux, de bobos-écolos au pire, alors que c’est en fait un modèle économique qui repose davantage sur la coopération entre acteurs que sur leur mise en concurrence, un secteur qui mise sur une gouvernance collective qui laisse une place au dialogue entre fournisseur du service et usagers, un secteur qui se préoccupe des enjeux environnementaux, un secteur qui ne recherche pas le profit mais une simple lucrativité d’équilibre. Bref, sans doute un des secteurs d’avenir pour une économie soutenable. N’ayons pas honte de défendre haut et fort ce modèle qui est le seul vraiment rationnel.
Patricia Andriot, conseillère communautaire de la Communauté de Communes Auberive, Vingeanne et Montsaugeonnais (Haute-Marne), vice-présidente du RTES
Dans le cadre du colloque "L'ESS, un cap pour une transition juste dans nos territoires ? Réalités et perspectives 10 ans après la loi sur l'ESS" que le RTES co-organise avec plusieurs sénateurs, une table ronde sera consacrée à cette thématique : "ESS et collectivités, quelles alliances développer pour des services de qualité des crèches aux EHPAD ?”. Plus d'informations dans notre article dédié en cliquant ici