"Pour la première fois, les monnaies locales complémentaires sont reconnues dans la loi d’un pays" - Rencontre avec Jean-Philippe Magnen
En février 2014, Benoît Hamon et Cécile Duflot, alors respectivement ministre de l’ESS et ministre de l’Egalité des territoires et du logement, confient une mission d’étude exploratoire sur les monnaies locales complémentaires (MLC) à Christophe Fourel [24] et à Jean-Philippe Magnen, alors élu à Nantes et Nantes métropole en charge pendant 13 ans de l'ESS et vice président du RTES.
Premier résultat: un article sur les monnaies locales complémentaires a été intégré dans la loi ESS, votée à l'Assemblée nationale le 21 juillet dernier. Entretien avec Jean-Philippe Magnen.
Quel est l'objectif de la mission sur les MLC qui vous a été confiée ?
Cette mission exploratoire a deux objectifs : établir un diagnostic des monnaies locales complémentaires et systèmes d'échanges locaux en France , et élaborer des préconisations tant pour fixer un cadre plus clair que pour permettre leur développement. Nous avons pour cela étudié différentes initiatives de MLC et de systèmes d'échanges locaux, lancés ou en cours de lancement et effectué des visites sur le terrain : à Toulouse (Sol Violette), dans la Drôme, et sommes allés rencontrer Bernard Lietaer à Bruxelles [25] ... Et puis, nous avons profité de l’opportunité du projet de loi ESS pour inscrire un article visant à faire reconnaitre les MLC. La mission, initialement prévue jusqu’en juin, a été prolongée par Carole Delga et Sylvia Pinel jusqu'au mois d'octobre. Cela permettra de proposer des préconisations, basées à la fois sur l'approfondissement de certains éléments du diagnostic comme la nécessité de clarifier le cadre de fonctionnement de ces véritables écosystèmes locaux sur les plans juridique et fiscal (ce qui passera en grande partie par des modalités de mise en application de la loi) ou de proposer des outils pour un meilleur accompagnement de la mise en œuvre des projets sur les territoires. Nous étudierons également des expériences européennes et internationales de monnaies locales citoyennes ou de plate-formes d'échanges inter-entreprises. Pour un rapport final remis fin octobre.
Que permet l'inscription d'un article sur les MLC dans la loi ESS ?
C'est la première fois que les monnaies locales complémentaires sont reconnues comme moyens de paiement dans la loi d'un pays ! Au-delà de ce fort aspect symbolique, cette reconnaissance ouvre des portes sur les rôles possibles des acteurs et des collectivités dans leur développement. Car ces monnaies complémentaires concernent encore aujourd'hui essentiellement des militants et sont portées essentiellement par de petites associations. La loi reconnaît l'existant et, surtout, l'importance de son développement.
La loi doit également enfin permettre aux Trésoreries publiques, et donc aux collectivités, d’accepter le paiement en MLC. Chose qu'elles ne pouvaient pas faire et que la loi aujourd'hui n'interdit pas. Pour favoriser le changement d'échelle, les collectivités ont en effet un rôle important à jouer. En incitant les habitants à utiliser ces monnaies comme moyens de paiement de prestations sociales par exemple (cantines, centres sociaux...), elles passeraient du statut d'apporteurs de subvention à celui d'utilisateurs de MLC et de générateurs de flux sur un territoire.
Vous évoquez des inspirations européennes. Quelles sont-elles ?
Nous nous intéressons fortement aux expériences suisses, à celle de Bristol, mais aussi à celles mises en place en Europe du sud, en Italie ou en Espagne. Ces dernières ayant émergé dans un contexte de crise économique et sociale important avec un fort impact contra cyclique. En Sardaigne, par exemple, le Sardex, a démarré via une plate-forme d'échanges inter-entreprises qui s'est ensuite étendue aux citoyens très rapidement atteignant des volumes d'entreprises et de citoyens adhérents du système bien supérieurs à ce qu'on peut observer actuellement en France.
Comment alimenter cette dynamique collective ?
98 % des échanges monétaires aujourd'hui servent la spéculation. Les monnaies locales complémentaires sont un projet collectif qui peut renverser la vapeur, servir l'économie locale et renforcer les liens et la solidarité. Elles peuvent aussi et surtout permettre une ré appropriation de l'outil monétaire par les citoyens.
Aux dernières élections municipales, beaucoup d'équipes portaient un projet de MLC dans leur programme. Signe d'un effet de mode peut-être, mais surtout signe d'une réelle envie de s'approprier ces questions. Et avec les élections régionales qui se profilent, elles vont de nouveau être à l'ordre du jour. On sent l'émergence d'une dynamique plus vaste dans un contexte de crise économique structurelle où le modèle classique ou traditionnel n'apporte plus aux citoyens comme aux entreprises de réponses concrètes satisfaisantes.
Les PTCE par exemple sont des écosystèmes favorables au développement de ces monnaies locales complémentaires. À l'instar des expériences de plate-formes d'échanges inter-entreprises en Europe et Amérique du Sud, des expérimentations pourraient être réalisées dans certains PTCE, et soutenues par les collectivités des territoires concernés. Ce rapport a déjà fait bouger les choses, il ne faut pas qu'il reste dans un tiroir. L'intérêt est qu'il vive dans des réseaux. Et le RTES a un rôle important à jouer dans le partage d’expériences et de réflexions des collectivités.
Pour aller plus loin :
Retrouvez le dossier consacré aux monnaies locales complémentaires dans la lettre n°21 du RTES