Pour un livre blanc de l’ESS, rencontre avec Claude Alphandéry
Claude Alphandéry, président du CNIAE*, anime un groupe de réflexion autour d'une étude sur les potentialités de l'économie sociale et solidaire intitulée " L'économie sociale et solidaire : un autre mode de développement économique. Comment se situe-t-elle aujourd'hui, et quelle sera sa place dans l'économie de demain ? ". Cette étude est l'occasion de réaffirmer que l'ESS porte en elle les ferments d'une autre organisation économique et sociale. Associé au pilotage du projet, le RTES a rencontré Claude Alphandéry.
Pouvez-vous nous présenter les enjeux de l'étude que vous animez ?
Cette étude en cours est financée par la Fondation Charles Léopold Mayer et, est portée par des représentants d'organisations comme le RTES, le MES, le CEGES, des universitaires, comme Jean-Louis Laville ou Eve Chiapello, et des acteurs de terrain comme le réseau des Jardins de Cocagne. Nous nous appuyons également sur des personnalités qualifiées comme Hugues Sibille du Crédit Coopératif, Christian Sautter président de France Active, Denis Clerc d'Alternatives Économiques ou encore Jean-Baptiste de Foucauld. Enfin nous travaillons avec des syndicalistes de la CGT et de la CFDT. L'idée de ce groupe est de co-construire un livre blanc pour faire franchir le seuil du débat public à l'économie sociale et solidaire.
Pourtant l'ESS semble de plus en plus reconnue... ?
Localement oui mais au niveau national elle reste méconnue. Les politiques, l'administration, les médias et l'opinion ne la voient pas comme un véritable projet de société. Alors que la crise aggrave les déséquilibres de notre société, on ne peut se suffire des modes de régulation de l'État et d'une petite relance keynésienne. Il faut changer notre modèle de développement vers plus de démocratie, changer notre rapport à la richesse, dans sa répartition comme dans sa conception, et viser le bien-être de tous. Mais faire l'analyse des erreurs et du gâchis du système actuel ne veut pas dire que nous nous positionnons dans une dialectique radicale de l'après-capitalisme. Nous proposons un nouveau paradigme, et ce chemin, c'est bien l'ESS qui l'incarne. Pas seulement dans ses initiatives telles que le commerce équitable, l'insertion par l'activité économique ou l'éducation populaire, mais aussi dans ce qu'elle peut apporter aux services publics pour qu'ils soient plus liés aux besoins de la population et dans un rapport différent avec le citoyen.
Dans cette perspective, le rôle des collectivités locales semble déterminant dans le développement de l’ESS ?
Les territoires jouent effectivement un rôle considérable d'où l'importance du RTES dans notre démarche. Par exemple, on ne peut pas confier le développement durable aux groupes les plus puissants de l'énergie, des transports ou du BTP. Il serait plus intéressant de le confier à des structures solidaires adossées à des collectivités territoriales.
Ces dernières semblent en tous cas avoir bien saisi depuis quelques années l’impact local de l’ESS ?
C'est vrai. Les régions, les agglomérations, les villes ont désormais leurs adjoints à l'ESS. Surtout, il existe une véritable prise en compte du caractère transversal de l'économie sociale et solidaire, beaucoup plus qu'il y a dix ans. Ce sont donc des progrès formidables, même si les collectivités locales n'ont pas non plus des moyens illimités et qu’il est souvent difficile pour le porteur de projet de se retrouver dans le maquis des responsabilités des uns et des autres. Il reste important de développer les appuis des agglomérations, départements et régions. C'est le sens d’ailleurs de notre travail avec le RTES qui regroupe des personnes qui sont en responsabilité et qui sont en avance dans la réflexion sur les liens entre ESS et collectivités.
Dans le contexte actuel de crise économique, l’ESS se trouve-t-elle à une phase clé de son histoire ?
On assiste probablement à une mue, à un changement d’échelle. Par rapport au manifeste de l'économie solidaire lancé il y a deux ans, notre démarche va plus loin par ses alliances et par son contenu. Les grands organismes de l'économie sociale semblent désormais sur la même ligne : il y a nécessité à faire passer un message politique et à faire des propositions phares pour avancer sur un nouveau modèle de développement.
* CNIAE : le Centre national de l'insertion par l'activité économique
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