Pratiques informelles - Mise en débat par Résovilles
Résovilles organisait, dans le cadre de son cycle Quartiers en transitions, une mise en débat sur les pratiques informelles. Animé par Frédéric Frenard, ce débat rassemblait Abou Ndiaye, sociologue et directeur de l’atelier de recherches en sciences sociales, Claude Sicart, président du Pole S et membre du CNV saisi en mars 2019 par Julien Denormandie pour travailler sur l’économie informelle et Cécile Nonin du pôle ressources Villes et territoires Occitanie.
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Pour Abou Ndiaye, l’économie informelle est une économie de la débrouille que l’on ne trouve que dans les quartiers populaires, faite par et pour les habitants de ces territoires : mécanique de rue, vendeurs de brochettes, cantines de foyers de migrants, biffins et chiffonniers, etc. Il s’agit d’une pratique d’intérêt social non déclarée, de l’innovation sociale non reconnue. Il y a beaucoup de créativité économique dans les territoires mais selon son origine elle est plus ou moins admise. Elle est parfois encensée (cas des tiers lieux aujourd’hui) mais si elle émane de pauvres à destination de pauvres, elle n’est pas reconnue à sa juste valeur.
La question de l’économie informelle peut être abordée sous l’angle de l’accès des personnes au marché du travail mais il faut aussi regarder celle de la capacité du système à absorber les savoirs sociaux. Il est également indispensable de sortir de la confusion entre économie informelle et économie illicite.
Comme le souligne Claude Sicart, l’économie informelle est souvent identifiée quand elle créé des nuisances dans l’espace public. Son identification passe également par des diagnostics territoriaux mais ils ne sont pas si faciles à mener. Il faut beaucoup de temps, de confiance et sortir de notre ethnocentrisme européen pour identifier et comprendre ces pratiques informelles. Abou Ndiaye pointe l’importance de chasser les idées reçues et de s’appuyer sur des personnes ressources du quartier comme les médiateurs par exemple.
En ce qui concerne l’accompagnement de ces pratiques informelles vers la formalisation, les intervenants soulignent que l’on accompagne plutôt bien ces initiatives dans le cadre de l’entrepreneuriat individuel, mais beaucoup moins dans le cadre de projets collectifs pour la proposition de nouveaux services. Ils insistent sur l’importance de ne pas plaquer de modèle, que chaque territoire trouve une solution ad hoc et de travailler avec les acteurs et les habitants.
Mais accompagner ce passage de l’informel au formel suppose de bien comprendre ce qui se joue dans ces pratiques informelles : cette économie déploie un réseau de solidarité et d’innovation sociale qui n’est pas facturé. Si on aborde cette économie au coût horaire de travail, on ne comprend pas comment cela tient. Donc cela suppose de le prendre en compte, de voir avec les personnes ce qu’elles veulent conserver de ce système économique et voir comment le traduire sans mettre de côté ce qui est essentiel : le modèle de solidarité qu’il intègre. Si des personnes font 200kms pour changer une soupape par un mécanicien de rue c’est que les garages classiques ne le font plus, ils préfèrent changer le moteur. Ces mécaniciens là, car ils viennent de territoires où la ressource est rare (ici aussi mais on en a pas encore conscience) ils ouvrent le moteur, le désossent, et passent 3 ou 4 jours à remplacer la soupape. Et comme il y a une part de solidarité populaire non facturée alors c’est intéressant de réparer la soupape seulement.
Les intervenants pointent aussi les freins liés à la situation administrative des personnes. Des personnes rendent des services à des centaines de personnes depuis plus de 20 ans sur un territoire mais leur situation administrative fait blocage. Les intervenants se demandent pourquoi ne pas faire comme la carte de séjour Talent et envisager des systèmes pour les gens qui rendent des services à l’ensemble de la proximité. Cécile Nonin suggère la création d’une Carte de séjour utilité et innovation sociétale.
Claude Sicart présente ensuite le projet de création d’un centre ressource sur l’économie populaire à Marseille et invite chacun à poursuivre les travaux sur l’économie informelle en veillant à ne pas la normaliser.