R-Urban : un lieu pour agir localement contre des crises globales
Dans les Hauts-de-Seine, depuis 2010, l'atelier d'architecture autogérée expérimente un projet qui sort de l'ordinaire. R-Urban (c'est son nom) défend des pratiques de résilience urbaine, et tisse un réseau de circuits courts écologiques, économiques, sociaux et culturels. Objectif : proposer aux habitants des quartiers des espaces de solutions concrètes et interconnectées aux défis sociétaux et environnementaux. Rencontre avec Constantin Petcou, l'un des co-fondateurs de l'atelier.
Quels sont les objectifs et l'état d'esprit de l'atelier ?
L'atelier d'architecture autogérée (AAA) existe depuis 2001 et l'un de ses objectifs est de réfléchir au délitement des liens sociaux dans nos villes. Des sociologues, comme Alain Tourraine par exemple, considèrent que la ville est morte aujourd'hui. Morte car les liens entre les hommes, liens qui génèrent la ville, n'y existent plus. Pour l'atelier, il faut re-construire la ville à partir de ces liens, avec le contenu plus que le contenant en régénérant des usages collectifs et, ensuite, des aménagements contenant ces usages.
Dès le début, nous avons ainsi eu envie de mêler pratique professionnelle et expérimentation citoyenne pour y répondre. Et comme nous sommes tous co-responsables des crises traversées par la société aujourd'hui (changement climatique, crise énergétique, pollution, etc.), architectes, politiques, économistes, sociologues ou entrepreneurs, nous sommes tous responsables, et c'est donc ensemble qu'il faut proposer des solutions.
Comment est né R-Urban ?
Le projet est né d'une envie d'explorer et de concrétiser des pistes de nos expériences passées. Nous travaillons depuis longtemps sur la nécessité de ré-investir les espaces urbains de proximité. Des projets comme Ecobox par exemple, dans le 18ème arrondissement de Paris, ou le Passage 56, dans le 20ème, ont pour objectif de ré-investir ces espaces délaissés en ville par des usages collectifs et écologiques qui sont ré-générateurs de sociabilité.
Nos projets ont également une particularité : nous nous attachons à passer d'un mode de gestion par l'association, vers celui de co-gestion avec les usagers pour enfin parvenir à une autogestion par les habitants et autres usagers. Ce n'est pas simple, cela prend beaucoup, beaucoup de temps, mais nous y parvenons. Ecobox est autogéré depuis 8 ans, le Passage 56 depuis 6 ans ; ce dernier ayant même fait des petits sans notre intervention.
En faisant le bilan de ces projets, nous nous sommes donc rendus compte que cette appropriation des espaces publics par les habitants était faisable. Mais qu'il manquait une dimension. Tous les espaces que nous avons mis en place fonctionnent sur les temps libres. Les habitants viennent le soir, le week-end, le midi, pour du jardinage, des échanges, de la culture... Mais la plupart d'entre eux repartent le soir ou le lendemain dans une vie quotidienne dépendante de l'économie dite « ultralibérale », qu'ils critiquent pourtant en venant dans ces lieux. Nous nous sommes dits qu'il fallait aller plus loin, qu'il fallait proposer des pistes et des solutions à ces états de schizophrénie permanents. Alors, nous avons décidé d'intégrer de l'économie sociale et solidaire dans ces espaces. R-Urban était né pour permettre d’autres modes de vie, plus résilients, et qui peuvent apporter des solutions aux crises sociétales et environnementales actuelles.
Expliquez-nous R-Urban en quelques mots.
Le projet R-Urban s'articule autour de quatre unités. Agrocité, qui est l'unité la plus avancée, propose une agriculture urbaine civique constituée par une micro-ferme, des jardins collectifs, des espaces pédagogiques et culturels, des dispositifs de production énergétique, de compostage et de collecte d'eau pluviale. Recyclab, qui est l'unité de ressourcerie et plate-forme d'éco-construction, soutient les projets éco-responsables et d'ESS. Ecohab, qui est l'unité résidentielle, coopérative et écologique, regroupera 7 habitations mêlant logement social, accession à la propriété, résidences d'artistes, étudiants et chercheurs. Et Wow (Wick on Wheels) qui est l'unité de production mobile, se déplace aujourd'hui à Londres (et bientôt à Berlin) et encourage la production collective in situ, en utilisant des matériaux, des ressources et des savoir-faire locaux. Nous avons à cœur les notions de circuits-courts au sein de ces unités et entre unités.
Nous avons enfin travaillé sur les facteurs favorables à l'émergence de porteurs de projets, leur accompagnement et leur mise en réseau, de manière à ce qu'ils proposent des solutions aux besoins qu'ils avaient au démarrage identifiés en venant dans ces espaces par curiosité ou pour bénéficier de services. Je suis persuadé que ce sont sur les lieux confrontés à des problématiques que l'on trouve des solutions à ces problématiques. Tous ces liens créent une émulation réciproque, chacun se nourrit des expériences des autres. J'aime à dire que ces lieux offrent des opportunités d'action pour les gens qui se sentent concernés par les problèmes sociétaux, environnementaux... Mais qui ne savent pas quoi faire concrètement. Nous créons des lieux pour agir localement contre des crises globales.
Comment le projet est-il soutenu par les collectivités ?
En 2008, notre projet sous le bras, nous sommes allés voir plusieurs collectivités pour trouver des terrains et des partenaires. Peu d'entre elles accrochaient, la plupart pour des questions de financement. Et puis, en 2009, la mairie de Colombes nous a accordé son soutien. Nous avons passé une convention et avons démarré par une recherche participative, avec les habitants, de terrain pour accueillir le projet.
Mais les débuts n'ont pas été simples ; nous ne pouvions pas construire de fondations sur le terrain repéré par un habitant et la nouveauté rendait méfiante la collectivité. Finalement, nous avons construit en nomade, avec des containers, et avons démarré. La collectivité a ensuite été étonnée par la vitesse de sortie de terre de R-Urban. Et le changement de mentalité s'est opéré petit à petit. Même si cela a été long ; je me souviens notamment d'un fou rire qu'un technicien de la commune ne pouvait plus arrêter quand je lui ai parlé de toilettes sèches.
Nous avons avec la ville de Colombes une convention de co-financement sur quatre ans, dans laquelle nous nous sommes engagés à trouver quatre euros pour chaque euro engagé par la commune ! C'est aussi à elle qu'appartient le terrain d'Agrocité.
Le conseil départemental nous finance, lui, au titre de l'ESS et le conseil régional au titre de la gestion des déchets. Et nous sommes également soutenus par l'Union européenne à travers Life+.
Mais aujourd’hui, nous faisons face à d'autres difficultés avec le changement d'équipe municipale, qui regarde le projet avec méfiance. Malgré la reconnaissance locale, nationale et internationale du projet, il faut presque tout recommencer à zéro, chercher d’autres terrains en proximité pour ne pas détruire les dynamiques sociales et économiques crées... C’est beaucoup de travail et cela ralentit inutilement un projet qui est exposé et publié partout en Europe, aux États Unis, en Australie, etc. et est devenu une référence dans la recherche de solutions aux crises actuelles.
Au-delà de la consolidation de R-Urban et de la longue préparation à son passage en autogestion, quels sont vos perspectives et projets ?
Beaucoup de collectivités s'intéressent à nos projets et commencent à réfléchir au développement d’unités similaires sur leurs communes. Des chercheurs, des étudiants viennent sur le site pour comprendre son fonctionnement et notre démarche. Nous sommes également co-signataires de la Charte des Circuits courts, pilotée par le Labo de l'ESS, qui correspond bien à notre état d'esprit et à ce que nous voulons transmettre. Car l'idée est d'essaimer : pour répondre aux sollicitations des collectivités et aider les projets du même type, nous préparons la création d'une Scic, qui permettra la multiplication de cette stratégie de résilience urbaine à échelle nationale et internationale.
Plus d'informations sur :
-le site d'AAA
-le site r-urban.net