STRUCTURATION DE FILIÈRES ÉCONOMIQUES DE TERRITOIRE #4: LA FILIÈRE BOIS
Dans le cadre de son chantier de travail sur l’approche par filières, le RTES a organisé mardi 27 septembre 2022 son 4ème webinaire sur le rôle des collectivités dans la structuration de filières économiques de territoire en lien avec l'ESS, autour de la filière bois. L'urgence climatique favorise sans doute la prise de conscience de l'importance économique, sociale, environnementale de la forêt et de la filière bois, et les collectivités sont particulièrement concernées par la structuration d'une filière territoriale.
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Patricia Andriot, vice-présidente du RTES, a rappelé en ouverture que la création d'écosystèmes locaux passe par la coopération entre acteurs, la mise en place de circuits courts et la recaptation de la valeur ajoutée sur les territoires. Cela se fera si l'on s'inscrit dans une logique de filières, en retissant de l'amont à l'aval une articulation entre les acteurs. Parmi les filières, celle de l'économie forestière que le RTES a souhaité aborder, un sujet important car source d'économie locale et territoriale, même si le lien avec l'ESS n'est pas évident au 1er abord.
Françoise Alriq, directrice adjointe de la Fédération nationale des Communes forestières a rappelé l'importance de la filière bois, et ses liens avec les collectivités. La Fédération existe depuis 1933, structurée en associations régionales et départementales, et rassemble plus de 6000 collectivités adhérentes. Au-delà des actions de représentation, d'information, de valorisation, de formation d'élus, l'association propose aussi aux territoires de grands programmes: par exemple depuis plus de 15 ans autour de la filière bois énergie et de la filière bois construction, et récemment un programme "Dans 1000 communes, la forêt fait école", où la gestion d'une parcelle est confiée à une classe (avec création d'un binôme franco-québecois). La priorité n°1 de l'ensemble des actions est le changement climatique.
La forêt est multifonctionnelle (fonctions sociales, environnementales, de protection, économique: biodiversité formidable, bois source de décarbonation, génératrice d'emplois, environ 400 000 emplois, forêt publique accueille 750 millions de visiteurs par an), mais aujourd'hui souvent menacée du fait du changement climatique (voir cet été les incendies qui ont conduit à une prise de conscience de l'opinion publique). Le changement climatique engendre de profondes modifications pour la forêt, qui va changer de faciès. Dans les actions menées sur les territoires, il est indispensable d'adapter la forêt au changement climatique.
Le bois est source de nombreuses innovations, on peut dire que c'est le matériau du futur : la chimie du bois est en plein développement, autour par exemple des cosmétiques, de la nourriture animale,...D'autres innovations sociales se développent également autour du bois, avec par exemple un tiers-lieu du bois en Vendée.
Les liens entre collectivités territoriales et filières bois peuvent s'expliquer d'abord par les compétences : les collectivités peuvent être propriétaires de forêt (+ de 3 millions d'hectares sont propriété de communes, représentant 300 millions d'euros de vente de bois), le maire est aussi aménageur de territoire, prescripteur et maitre d'ouvrage public (par exemple en matière de construction), il est responsable des biens et des personnes, et de plus en plus en prise avec une demande sociétale de tracer et de participer à la gestion collaborative de la forêt et de ce qu'on peut en faire. Les bénéfices de la création de filières courtes et locales sont généralement mesurables si on prend la peine de construire les outils. Par exemple, dans le cadre du bois local dans la construction, avec un programme lancé il y a plus de 10 ans, la FNCOR a pu mettre en évidence que le bois local (rayon de 80 km), permet un retour sur investissement au territoire de 80%, contre 30% pour du bois importé. La FNCOR a créé un indice ART, révélateur des retombées territoriales, ainsi que des marques de certification territoriales, qui offrent une garantie sur la provenance des bois (et qu'on peut mettre dans les marchés publics, avec mention ou équivalent).
Les Sociétés Coopératives d'Intérêt Collectif (SCIC) sont un acteur important de la filière bois énergie. Emily Duthion, cogérante de la SCIC ENR Pays de Rance, et présidente d'un pôle ESS de Saint-Malo, présente l'expérience de la SCIC en matière de structuration de filière. La coopérative, née au sein d'un conseil de développement souhaitant mieux connaître et développer les énergies renouvelables sur le territoire. Une étude de gisement sur le bois a conduit à la création d'une SCIC en SARL, en 2008, réunissant acteurs publics et privés, de l'amont à l'aval, "de l'arbre au radiateur". Confrontée au manque de projets de chaufferies bois, la SCIC a été amenée à diversifier ses activités, après une 1ère phase financée par le programme Leader pour la diversification du revenu des agriculteurs. La SCIC s'est ainsi diversifiée autour de l'arbre, et a répondu à un programme régional Breizh bocage, marché public de replantation, avec paillage des haies bocagères et entretien. Ils ont ainsi aujourd'hui un pôle élagueurs soins aux arbres, et proposent également des plans de gestion du patrimoine arboré pour les communes. La SCIC alimente aujourd'hui une quinzaine de chaufferies bois, travaille avec des scieries mobiles, et développe des liens pour mobiliers urbains ou artistes. Un volet de sensibilisation, à destination des écoles, des étudiants,..mais aussi via des programmes européens, est également présent. La SCIC compte aujourd'hui 15 salariés, et 100 sociétaires. Voir le diaporama de présentation
Catherine Moulin est maire de Faux-la-Montagne et cofondatrice d'Ambiance Bois, une des entreprises historiques de l'économie sociale et solidaire autour de la construction bois. Ambiance Bois, créée il y a 30 ans, sous forme de SAPO, est spécialisée dans la fabrication de matériaux en bois locaux. Sa 1ère activité était une activité de scierie / raboterie, puis a diversifié ses compétences dans le domaine de la construction bois, en neuf et en réhabilitation. Un atelier de menuiserie a été créé, et depuis 3 ans propose également du sciage à façon de feuillus. Et un bureau d'études Ambiance BAT. Les produits connexes sont aujourd'hui valorisés au maximum en circuits courts: la sciure approvisionne un petit réseau de chaleur mis en place par la commune dès 1992 qui alimente plusieurs bâtiments publics, et une pépinière forestière, les plaquettes approvisionnent 2 chaufferies bois de communes voisines et des chaudières privées, ainsi qu'une chaudière qui fait fonctionner le séchoir de l'entreprise. Ambiance Bois est aussi connue pour son fonctionnement autogestionnaire : une des rares entreprises en SAPO, avec des salaires égaux, une répartition des tâches, un gérant tiré au sort. Ambiance Bois compte aujourd'hui une trentaine de sociétaires (6 au départ), représentant 25 ETP.
La commune était historiquement propriétaire du terrain et d'un bâtiment transféré au SIVOM à l'époque, qui a réalisé un atelier relais. Cela a représenté une aide décisive au départ. Cette prise de risque initiale de la collectivité a largement été récompensée aujourd'hui, avec les emplois créés, les taxes, le maintien d'activités connexes (exploitants forestiers, transporteurs, débardeurs,..), des salariés qui s'investissent dans une des 35 associations locales. Dans années 95, sur 60 enfants à l'école, 25 enfants avaient un parent qui travaillait à Ambiance Bois. Une autre SCIC l'Arban, agence d'urbanisme rurale et opérateur immobilier a été créée,et en lien avec AB participe à des opérations, par ex des chantiers en autoréhabilitation accompagnée. Entre 2013 et 2019, la population de Faux a augmenté de 93 habitants, atypique par rapport au reste de la Creuse.
Dans le Grand Est, l'association Des Hommes et Des Arbres, les racines de demain, a été créée il y a un peu plus d'un an pour répondre à un appel à projets de l'Etat, Territoires d'Innovation, qui a incité à la mise en place d'une démarche de coopération territoriale. L'association regroupe une grande diversité d'acteurs, chercheurs, ONF, collectivités, entreprises, acteurs de l'environnement et de l'éducation populaire, et citoyens intéressés par la dynamique collective, déclinée autour de 5 grands axes stratégiques Retrouvez la présentation. Mathieu Ruillet, le directeur de l'association, présente la démarche de labellisation du réseau. Cette labellisation (qui ouvre ensuite l'accès à toutes les ressources et partenaires de l'association) est réalisée avec l'ensemble des membres, ce qui permet de travailler sur l'adaptation aux besoins du territoire. Parmi les projets, un projet coopératif pour les entreprises de travaux forestiers, souvent unipersonnelles et assez fragiles, permettant de mutualiser des achats, du matériel, des clients, et potentiellement de développer leur marché. De nombreuses initiatives de circuits courts et quelques unes pour renforcer les liens entre urbain et rural (avec par exemple un véhicule financier de travaux dans les massifs forestiers, mobilisant les financements de métropoles) sont également émergentes ou labellisées.
En synthèse, la collectivité dispose de nombreux leviers pour agir :
- Intégrer la forêt dans les documents de planification (SCOT, PCAET, PAT, SRADET ..), et pas simplement sous forme de "patate verte". La charte forestière de territoire est un outil assez complet, sur mesure. Le contrat de réciprocité rural/urbain peut aussi être un support intéressant (voir par exemple celui de Montpellier)
- Faciliter l'accès au foncier, l'accès au gisement, et le repérage des acteurs du territoire
- Mobiliser la commande publique, qui peut s'appuyer sur des labels et certifications, que ce soit pour l'entretien des haies, le bois énergie ou le bois construction
Mathilde Thonon, des Petites Rivières, qui réalise un guide méthodologique pour le RTES sur la façon dont les collectivités peuvent accompagner la structuration de filières locales en lien avec les acteurs de l'ESS, souligne que selon les 1ers retours d'expériences, les collectivités ont un rôle en amont particulièrement important. Un des facteurs clés de réussite est la capacité à associer les différentes parties prenantes autour d'un projet, pouvant aller jusqu'à la formalisation sous la forme de SCIC, et favoriser la coopération plutôt que la concurrence. Vous avez encore la possibilité de répondre à ces quelques questions pour partager votre expérience :
LIEN VERS LE QUESTIONNAIRE EN LIGNE
Retour sur le premier webinaire Structuration de filières économiques de territoire #1 du 02/04/2021, avec notamment Florentin Letissier, adjoint à la Mairie de Paris et vice-président du RTES, et Aurore Médieu d'ESS France.
Retour sur le deuxième webinaire Structuration de filières économiques de territoire #2 du 04/06/2021, avec notamment Pierre Roth, vice-président de Strasbourg Eurométropole;
Retour sur le troisième webinaire Structuration de filières économiques de territoire #3 du 25/05/2022, autour de la filière textile.