Le « Rollon » en Normandie : première monnaie régionale et 100 % numérique
Baptisée « le Rollon », cette première monnaie régionale complémentaire de France, totalement dématérialisée, sera mise en circulation dans les prochaines semaines. Entretien avec le président de l'association pour la Monnaie Normande Citoyenne (AMNC), Gérard Heit, également président de Normandie Active.
Pouvez-vous nous présenter l'association pour la Monnaie Normande Citoyenne : son origine, ses missions et son fonctionnement ?
L'initiative de créer une monnaie régionale complémentaire a été prise par le président de la Région Normandie, Hervé Morin, lors de la 1ere conférence régionale de l'ESS en juin 2016 au Havre. Il y a eu dès lors un gros travail préparatoire de concertation (voir notre interview de Lynda Lahalle) avec les groupes locaux et des acteurs clés de l’économie sociale et solidaire, piloté par l’agence de conseil Coreum, sur les statuts de l'association notamment. Celle-ci a été créée le 9 novembre 2017 avec l'objectif ambitieux de : « Promouvoir l'économie normande à travers le développement de circuits courts de proximité et de l'économie sociale et solidaire :
-en intégrant de manière transversale la dimension du développement durable,
-en dynamisant une offre de produits et de services locaux ayant une qualité environnementale,
-en explorant les boucles locales possibles pour construire un réseau d'acteurs économiques interconnectés dans l'objectif de recomposer une économie locale plus circulaire. »
La création de la monnaie régionale repose sur un double constat de départ, avec :
-d'une part un non-sens économique et écologique, avec un attachement au territoire des citoyens mais pour autant une tendance à consommer en grandes surfaces périphériques plutôt qu'en centres-villes et centres-bourgs ; des circuits courts qui ne sont pas forcément synonymes de proximité et seulement 2 % de la masse monétaire en France qui circule dans l'économie réelle ;
-et d'autre part, une conscience citoyenne grandissante qu'il faut changer cela, avec 8 français sur 10 qui pensent que consommer local répond à des enjeux sociaux majeurs et permet de réduire l'impact de l'activité humaine sur l'environnement.
Le Conseil d'Administration de l'association reflète le travail de co-construction préparatoire qui a été effectué, avec une composition en 6 collèges :
-les membres de droit, à savoir le Conseil régional et la CRESS,
-les groupes locaux, avec les monnaies locales qui le souhaitent, aujourd'hui la monnaie locale Agnel, présente à Rouen, dans la région de Dieppe et dans une partie de l'Eure (Agnel est organisée en une fédération de groupes locaux).
-les partenaires : Normandie Equitable, Coopérer pour Entreprendre, Normandie Active dont je suis le président, URSCOP, Jeune Chambre Economique, ADRESS.
-les entreprises : avec des entreprises d'insertion et des entreprises classiques ;
-les collectivités territoriales : avec pour l'instant la communauté d'agglomération Seine Eure, mais nous sommes en contact avec une vingtaine de collectivités très intéressées ;
-et bien sûr les citoyens, avec un collège qui sera constitué dès que nous aurons au moins 150 citoyens adhérents au Rollon.
Nous venons d'embaucher un directeur de l'association, cependant l'association repose essentiellement sur du travail bénévole avec une structuration en groupes de travail pilotés chacun par un membre du bureau de l'association.
Il y a notamment un groupe de travail sur la communication, un autre sur la mise en place de la solution numérique, compliquée bien entendu et qui nous demandé à adapter le modèle économique en fonction de l’évolution de la solution, donc d’effectuer un certain nombre de calculs itératifs. Il existe également groupe de travail sur le modèle économique. De nombreux membres du bureau de l'association sont des entrepreneurs ou directeurs de grosses structures de l'ESS, nous sommes donc attachés à une démarche entrepreneuriale et nous avons pour objectif d'atteindre une viabilité économique à 3 ans. Nous considérons la subvention allouée cette année par le Conseil régional en quelque sorte comme les fonds propres d'une entreprise en démarrage, mais avec le temps nous devrons trouver de nouvelles entrées de financement. Sur les 400 000 euros alloués par le Conseil régional : 80.000 euros sont dédiés à la communication, gérée directement par le Conseil régional, 100 000 euros sont affectés au « compte de cantonnement », une sorte de fonds de garantie des Rollons créés obligatoire auquel on ne peut avoir accès ; et sur le 220 000 euros restants une bonne partie a été utilisée pour développer la solution numérique. Nous avons des objectifs très atteignables pour 2018, avec 500 entreprises et 1000 particuliers à minima. Notre modèle économique est basé sur des cotisations annuelles qui seront demandées aux entreprises, aux particuliers mais aussi aux collectivités locales intégrant la monnaie (avec un taux de 0,05 euros par habitant et un plafond à prévoir). Nous envisageons également un fonds de soutien que pourraient abonder des entreprises ou leurs fondations. Un autre groupe de travail qui a fourni un gros travail concerne la charte d'engagement et les comités d'agrément de la monnaie. Ce groupe a travaillé à simplifier au maximum la charte en s'appuyant à la fois sur nos statuts et sur les chartes existantes d'autres monnaies locales. Aujourd'hui, la Charte du Rollon tient simplement sur 3 engagements pour les particuliers et 4 pour les entreprises, pour autant nous restons sur nos valeurs de base. Le comité d’agrément des entreprises partira sur l’axiome d'une confiance à priori.
Quels sont les apports de cette nouvelle monnaie régionale et 100 % numérique pour les citoyens et les entreprises, mais aussi pour les collectivités locales ?
L'échelle régionale offre davantage d'opportunités de circulation de la monnaie, notamment pour les entreprises et commerçants dont les fournisseurs ou intermédiaires ne sont généralement pas présents localement. Et puis, nous voulons aussi nous appuyer sur les monnaies locales existantes, travailler en complémentarité avec elles. Le vice-président de notre association est d'ailleurs président de la fédération Agnel. Il y aura une interopérabilité entre toutes les monnaies qui désireront nous rejoindre: 1 euro = 1 rollon = 1 agnel. Nous souhaitons offrir aux citoyens le plus de débouchés possibles pour payer en Rollon. Cette nouvelle monnaie répond d'ailleurs à l'aspiration citoyenne de favoriser l'économie régionale, car il y a un sentiment d'appartenance et une fierté à être normand qui se développe depuis la fusion des deux anciennes régions.
La solution numérique facilite également les échanges à cette échelle territoriale plus élargie, plutôt que de passer par des billets. Une application mobile sur smartphone va permettre de créer un compte en ligne, alimenté par l’intermédiaire de son compte bancaire et de faire des achats ou ventes, avec un historique de l'intégralité des opérations passées sur son compte en Rollon. En plus de l'application mobile, nous avons développé en option une carte de paiement sans contact d'un coût de 10 euros.
Avec le Rollon, nous souhaitions également disposer d'une monnaie à forte valeur écologique. En lien avec l'ADEME, qui nous soutient et participe à nos travaux depuis le début, nous ferons signer aux entreprises souhaitant intégrer la monnaie, une charte d'engagement au développement durable. Nous avons mis en place avec l'ADEME un questionnaire offrant un choix entre plusieurs points d'amélioration appelés « défis écologiques ». L'idée est que l'entreprise signataire s'engage sur au moins un de ces défis, cela peut être la sensibilisation des salariés aux économies d'énergies, l'achat de produits en vrac, la récupération de déchets...Là aussi, nous ferons confiance à priori et vérifierons les engagements à l’issu d’une période.
Mais pour attirer les entreprises, commerçants ou artisans, nous avons aussi travaillé sur les critères pour qu'ils y trouvent tous un intérêt direct, qu'ils puissent en tirer des avantages largement supérieurs au coût de la cotisation annuelle au Rollon. Tandis que la grande majorité des commerçants n'utilisent pas ou peu leur droit à la formation, nous allons les accompagner et les former à la mise en place de la monnaie, et plus largement leur offrir des services complémentaires qui favoriseront la transition numérique de leur commerce, avec par exemple :
-leur référencement comme commerce « agréé Rollon », avec un système de géolocalisation sur l'application mobile,
-un programme de fidélité à leur disposition pour faire des opérations de promotion et des cartes cadeaux numériques,
-un « agenda interactif » pour leur permettre de rentrer en contact avec les clients pour des prises de rendez-vous pour des achats en dehors des horaires d'ouverture de leur magasin, qui sont parfois inadaptés,
-les paiements en Rollon ne donneront lieu à aucune commission (gain de 0,3 à 0,8 %).
Nous avons également mis en place une promotion pour le lancement de la monnaie en 2018, avec une première année de cotisation offerte aux 500 premières entreprises et 100 rollons crédités sur leur compte en ligne pour qu'ils puissent directement utiliser le Rollon. La cotisation annuelle sera aussi offerte à tous les particuliers pour 2018.
Nous travaillons enfin avec une vingtaine de collectivités locales très intéressées par le Rollon. A terme, nous espérons que les particuliers pourront payer en Rollon certains services publics locaux tels que la piscine, la cantine scolaire, les transports publics, les musées… voire le stationnement. Enfin les entreprises pourront payer leurs fournisseurs en Rollon mais aussi des primes pour leurs salariés. Pour ce qui concerne le paiement par les collectivités, il faudra attendre le résultat du contentieux entre l’Etat et la ville de Bayonne, sachant que le tribunal administratif vient de donner raison à la ville de Bayonne.
Retrouvez plus d'informations à ce sujet dans cet article sur la lettre ouverte des élus locaux pour un usage actif des monnaies locales complémentaires par les collectivités locales.
Pour rappel, le RTES organise, en partenariat notamment avec le Mouvement SOL, une journée "Collectivités territoriales et monnaies locales complémentaires", le mercredi 23 mai, journée accueillie par la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg.