Retour sur la journée "Co-construire l’action publique : des discours aux pratiques ?"
Mardi 13 novembre, un séminaire de restitution d'une recherche-action de deux ans sur la co-construction des politiques publiques, à laquelle était associé le RTES, se tenait à la Caisse des Dépôts et Consignations. Patricia Andriot, vice-présidente du RTES, intervenait en introduction et lors d'un atelier, retrouvez ses retours sur cette journée d'échange.
Un travail de recherche-action sur la co-construction de l'action publique est mené depuis 2 ans par des chercheurs (Jean-Louis Laville et Laurent Fraisse pour le collège d'études mondiales de la maison des sciences de l'homme, avec le soutien de l'institut pour la recherche de la Caisse des Dépôts et Consignations) et différents partenaires dont le RTES, le Mouvement Associatif, l'UFISC, le Collectif des Associations Citoyennes et le RNMA. Dans ce cadre, Laurent Fraisse a réalisé l’étude « Co-construire les politiques publiques : éléments de définition, discours et pratiques ».
La co-construction des politiques publiques est un concept à la mode ; mais au delà des mots, et parfois de la bonne intention, que recouvre l'idée, quelles réalités de mise en pratiques ? Quels obstacles à sa mise en œuvre ? Sans doute en réaction assez directe à la perte de confiance entre acteurs et pouvoirs publics, parfois à la perte de légitimité, la co-construction se définit comme "un processus institué de participation ouverte et organisée d'une pluralité d'acteurs à l'élaboration, à la mise en œuvre, au suivi et à l'évaluation de l'action publique" (Laurent Fraisse). La co-construction est donc une modalité démocratique qui vient compléter le mandat électif, qui confie à un/des représentants la responsabilité de la décision publique. Il ne s'agit donc pas d'une simple association ou consultation, mais bien comme le précise la définition, d'un processus. Et contrairement à ce qu'on pourrait penser, cette idée n'a finalement rien d'une évidence ; ni chez les décideurs publics qui ont parfois du mal à accepter ce mélange des genres, ni chez les acteurs ou les citoyens, qui revendiquent parfois la participation à la décision, mais qui peuvent se réfugier derrière la responsabilité de l'élu... Il y a donc finalement beaucoup d'ambiguïtés, de freins mais aussi de réalités très diverses derrière la mise en œuvre de cette belle idée.
Dans la diversité de ces réalités, force est de constater l'étroit lien entre l'émergence de politiques publiques en faveur de l'ESS et l'idée même de co-construction, ce que rappelle très bien l'étude de Laurent Fraisse. En tentant d'installer les politiques de l'ESS, non comme des politiques sectorielles ou des outils techniques, comme le précise Christiane Bouchart citée par Laurent Fraisse, mais comme une autre façon de concevoir l'action publique, la co-construction s'inscrit de fait dans les gènes des collectivités en faveur de l'ESS ; et est en cela un sujet important pour le RTES.
Julien Talpin, chargé de recherches au CNRS (CERAPS), et Laurence Lemouzy, directrice scientifique de l’Institut de la gouvernance territoriale ont proposé une lecture critique de l’étude. Julien Talpin a notamment interrogé les conditions dans lesquelles la coconstruction peut inclure la prise en compte de points de vue habituellement marginalisés. En proposant la procéduralisation de la coconstruction (comme garantie de la parole des plus faibles) et la coconstruction séquencée (réserver des temps pour forger les points de vue avant leur expression dans des espaces de coconstruction). Laurence Lemouzy indique ensuite que la co-construction du point de vue d’une collectivité territoriale, c’est surtout comment co-construire avec l’Etat et les autres collectivités territoriales. L’interconnexion des phénomènes sociaux rend inadéquates les modalités habituelles de l’administration. Selon Laurence Lemouzy, les collectivités territoriales vis-à-vis de l’Etat sont dans la même posture que les associations : soit elles produisent leurs propres modalités de l’action publique (en les co-construisant avec le territoire), soit elles vont continuer à être des sous-traitantes de l’Etat car elles n’ont plus les moyens de l’action qu’elles peuvent mener. Il semble plus important aujourd’hui de coproduire que de décider.
La diversité des exemples présentés dans les ateliers montre à la fois, de réels progrès sur le sujet dans les collectivités (les exemples de Nantes, de Strasbourg, de Mulhouse, etc. sont souvent repris) ; mais ressortent aussi les nombreux obstacles encore présents : une crainte forte de la remise en cause de la légitimité décisionnaire chez certains élus, un manque de culture et d'ingénierie de la co-construction encore fréquente dans les services, des outils juridiques quasi inexistants pour accompagner une réelle co-construction (vide juridique entre la subvention et le marché public), une confiance entre acteurs qui n'est pas toujours au rendez-vous, des acteurs qui peinent souvent à jouer pleinement le jeu de la co-construction par manque d'habitude ...
Il ressort de ces travaux que des contextes et conditions sont nécessaires pour créer de réelles avancées en la matière ; au premier rang desquels la volonté politique, l’évolution de la posture des participants (bienveillance, confiance, coopération, humilité, etc.), la nécessaire mobilisation d’une diversité de participants et la pertinence du périmètre territorial retenu, des conditions méthodologiques et un accompagnement (transparence et circulation de l’information, processus à inscrire dans la durée, tiers neutre, appui législatif), mais aussi une acculturation nécessaire qui passe par des moments de formation et un discours général qui doit diffuser et infuser plus largement, ...
Bref, la co-construction ne se généralisera qu'au prix d'une certaine maturité démocratique qui doit prendre du temps et qui mérite de la communication et des travaux comme ceux qui ont été menés en amont et durant cette journée.
Retrouvez le programme de la journée.
Dans la continuité de ces travaux, le RTES organise une conférence en ligne sur la co-construction des politiques publiques le 4 décembre 2018, de 14h à 16h. Informations et inscriptions.