Quel soutien d'une collectivité à un abattoir en SCIC ? Exemple du département de la Nièvre
Cet article est réalisé par le RTES à partir du retour d'expériences de ses collectivités territoriales membres. Il vise à fournir des éclaircissements de nature technique, notamment sur la base de résumés concis et parfois simplifiés de la législation et de la jurisprudence en matière d'intervention des collectivités auprès de l'économie sociale et solidaire. Le présent article n'engage pas le RTES en tant qu'institution.
La question s’est posée pour différentes collectivités territoriales (CT) membres du RTES, de participer au sociétariat d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) exploitant un abattoir.
Le recours à une SCIC est un mode de gestion recommandé par la Cour des comptes pour les abattoirs de proximité (Rapport CC, février 2020). On en comptait 7 abattoirs en SCIC en 2017, de nombreux projets se multiplient aujourd'hui dans les territoires (cf. article de Michel Abhervé du 31/07/2022).
L’intérêt des collectivités pour appuyer ces équipements d’intérêt collectif, outre le service rendu aux acteurs économiques de la filière en amont (éleveurs du territoire) et en aval (notamment pour la restauration collective et y compris publique) est également motivé par des considérations écologiques (favoriser les circuits courts, le bio), de bien-être animal, voire pour faciliter l’accès à l’abattage rituel.
Exemple d'un abattoir géré en SCIC à Corbigny, avec le soutien du département de la Nièvre
A l'origine, l'abattoir dont les murs sont la propriété de la commune de Corbigny, était exploité par une coopérative qui détenait également les murs de l'atelier de découpe. Ce groupe décide par souci d'économie d'échelle de cesser l'exploitation de son abattoir de Corbigny, d'ici fin 2021 pour se concentrer sur un autre abattoir beaucoup plus gros dans un autre département, au grand dam des éleveurs locaux et du territoire.
La communauté de communes, qui a la compétence notamment dans le domaine de l’immobilier d'entreprise (art. L1511-3 CGCT, compétence à laquelle le département peut être associé), recherche un repreneur pour maintenir l'abattoir de proximité. C’est la difficulté à trouver un repreneur pour pérenniser ce service essentiel au territoire, qui conduira la communauté de communes à solliciter le soutien du département et du pays Nivernais Morvan (art. L2251-3 CGCT). Aucun acteur local, ni plus lointain (un groupe canadien s'est un temps manifesté avant de se désister) ne souhaitera poursuivre l'activité.
Fabien Bazin, président du conseil départemental de la Nièvre (adhérent RTES), Christian Paul, président du Pays Nivernais Morvan, Maryse Peltier, maire de Corbigny, Jean Charles Rochard, président de la communauté de communes Tannay-Brinon-Corbigny et Alexandre Lorré, naisseurs-engraisseurs et président de la société coopérative de gestion du marché aux cadrans de Corbigny ont pris l'initiative de porter une solution de reprise de l'abattoir. Pour le président, "il s'agit d'un outil pour construire les PAT afin d'atteindre le 100% local d'ici 5-6 ans" particulièrement pour la restauration collective des collèges dépendant du département, voire d'autres débouchés de partenaires, tels que les EPHAD. Une motivation partagée et soutenue par les conseillers départementaux Thierry Guyot et Jean-Paul Fallet, délégués respectivement à l’agriculture et l’alimentation de proximité et à l'insertion pour le premier et à l’habitat et à l’économie sociale et solidaire pour le second. Il en va par ailleurs d'un enjeu de cohésion territoriale relevant des compétences du département. A défaut d'initiative privée suffisante, le département explore donc les voies d'une participation publique à la reprise, notamment l'hypothèse d'une entreprise publique locale (EPL, SEM ou SPL), toutefois celle-ci ne permettait pas d'associer les éleveurs ni d'autres acteurs intéressés (bouchers, collectivités locales, représentants des professionnels et autres consommateurs locaux). C'est cet enjeu d'associer également les usagers ou clients de l'abattoir, aux collectivités territoriales et à un opérateur, qui décide les acteurs de retenir la société coopérative d'intérêt collectif (SCIC). Le département s'est engagé comme sociétaire de la SCIC. La SCIC créée le 22 septembre 2022 réunit plus de 100 sociétaires qui ont apporté près de 130.000 euros de capital social, pour 48% des collectivités territoriales dont le département (à hauteur de 20.000 euros), 38 % des éleveurs et bouchers et 14% des consommateurs. En lien avec l'ensemble de ces parties prenantes, c'est une autre coopérative agricole du territoire, déjà exploitante du marché à bestiaux de Corbigny, qui assumera l'opérationnel de la SCIC. Le département s’est également saisi de la possibilité récemment offerte par la Loi 3DS, d’apporter 40.000 euros d’apport en compte courant d’associés, de même que de la possibilité (restée inchangée suite à la loi NOTRe) d’offrir sa garantie d’emprunt (jusqu’à 50% du prêt bancaire envisagé de 120.000 euros, soit à hauteur de 60.000 euros).
Une expérience qui vaudra à Fabien Bazin d'affirmer la "SCIC, chemin à suivre pour d'autres sujets". Marie-Guite Dufay, présidente de la région Bourgogne Franche-Comté (membre du RTES) a salué le projet à l'occasion d'une visite mi-septembre 2022 et promis son soutien à la SCIC.
C'est particulièrement la carence d'initiatives privées pour poursuivre ce service essentiel au territoire qui motivera le soutien de la préfecture au projet de reprise en SCIC emmenée par les collectivités territoriales. En effet, le préfet en personne, a "beaucoup aidé" témoigne François Karinthi, le DGS du département à la manœuvre, notamment "comme facilitateur" auprès de l'ensemble des services déconcentrés de l'Etat à mobiliser pour un tel projet complexe (jusqu'aux services sanitaires et vétérinaires, etc.)
Enfin des travaux de rénovation, remise aux normes et modernisation (1,7M€) vont être lancés en vue d'un redémarrage à l'été 2023.
Que dit la loi ?
Compétence
Chaque collectivité territoriale doit fonder son financement en tout ou partie sur une compétence légale (qu’elle n’a pas déléguée entièrement). La collectivité n’a pas nécessairement à trouver son intérêt (et sa compétence) en regard de l’activité principale de la SCIC (d’abattage en l’espèce) et peut motiver sa participation à l’aune d’autres activités secondaires ou alors du fait de caractéristiques dans la manière de conduire l’activité qui relève de ses compétences.
Les communes peuvent se saisir de la compétence abattage au titre de leur clause de compétence générale (art. 2121-29 du CGCT)… sauf à en avoir été dessaisie obligatoirement ou volontairement.
La communauté urbaine (CU) (art. L5215-20 du CGCT), comme la métropole (art. L5217-2 du CGCT), dispose en matière de gestion de services d’intérêt collectif (5°) de la compétence relative aux abattoirs (c), parmi les « compétences obligatoires » exercées « de plein droit, au lieu et place des communes membres » (c’est-à-dire de manière substitutive et exclusive). A moins qu’une subdélégation aux communes (par exemple pour de petites unités mobiles d’abattage) ne leur permette d’exercer cette compétence, même seulement de manière partagée, ces dernières sont a priori dessaisies dès lors qu’elles appartiennent à une CU ou métropole.
Bien que non investies de manière obligatoire de la compétence « abattoir », les communautés de communes (CC) exercent quant à elles, selon l’article L5214-16 du CGCT, « de plein droit au lieu et place des communes membres », les compétences relevant des « actions de développement économique » (2°). La SCIC indépendamment de son activité (d’abattoir) peut mobiliser les CC en sa qualité d’entreprise.
L’article L1511-2 du CGCT fonde la région à aider la SCIC pour sa simple qualité d’entreprise.
L’article L1511-3 du CGCT fonde quant à lui « les communes, la métropole de Lyon et les EPCI à fiscalité propre » pour aider notamment un abattoir, mais seulement « en matière d'investissement immobilier et de location de terrains ou d'immeubles ».
Enfin, une SCIC exploitant un service d’abattoir de proximité n’est pas tenue de s’y limiter et peut exercer d’autres activités complémentaires (légumerie/conserverie, par exemple) qui font écho à d’autres compétences de collectivités, par exemple la restauration collective. D’autres aspects peuvent intéresser les collectivités en dehors des considérations de l’activité principale: la région pourra s’intéresser à la SCIC si elle déploie des actions de formation professionnelle, ou le département s’il y a une démarche d’insertion par l’activité économique (IAE) par exemple.
Quel mode de contractualisation ?
Quel que soit le mode de contractualisation ci-après, il suppose de la part de la collectivité ordonnatrice, qu’elle soit préalablement fondée à agir par une compétence reconnue légalement. Rappelons que les modes de financements ci-après peuvent se compléter, ils ne sont pas exclusifs les uns des autres.
S’il s’agit d’un financement corrélé directement à une commande livrée au profit des cuisines de la collectivité, alors la solution qui s’impose est celle d’un marché public (de produits).
Si la collectivité souhaite faciliter l’accès au service (en termes de tarifs, d’horaires, de pratiques rituelles, etc.), d’abord au bénéfice de professionnels, voire de particuliers, en imposant des conditions contraignantes, et si le risque économique d’exploitation est assuré par la SCIC, alors il s’agira d’une délégation de service public (DSP). Une DSP peut concerner la gestion d’un équipement d’abattoir préexistant appartenant à la collectivité (notamment dans les cas où elle gérait ce service en régie directe auparavant) ou laisser à charge de la SCIC l'équipement. La DSP empêche en principe de subventionner par ailleurs le service selon les articles L2224-1 et 2 du CGCT – même si le rapport de la Cour des comptes soulève cette pratique régulière, car ces articles comprennent des dérogations. La DSP est le mode majoritaire de gestion des abattoirs de proximité selon la Cour des comptes.
Autre mode de contractualisation possible, la convention de subvention (article 59 de la Loi ESS de 2014 et article 19 decies de la Loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération). La collectivité veillera à ce que l’aide apportée à la SCIC n’entraine pas un dépassement du plafond européen de droit commun, soit 200K€ toutes aides publiques confondues pour 3 ans (« aide de minimis »). Cependant, la SCIC peut bénéficier d’aides plus conséquentes, couvertes par l’un des dispositifs du régime général d’exemption par catégories (RGEC) selon la nature de l’activité (s’il y a par exemple recours à du personnel en insertion) ou bien au titre d’une aide à finalité régionale (AFR) selon la localisation de la SCIC. A défaut de RGEC ou AFR ou parce que ces règles ne permettent souvent pas de couvrir 100% du besoin de financement public, un abattoir de proximité peut voir tout ou partie de ses activités qualifiées de « service d’intérêt économique général ». Cela permet de monter le plafond des aides publiques à la SCIC à 500K€ sur 3 ans, « aide de minimis SIEG », voire davantage en cadrant plus précisément l’attribution (cf. « Décision SIEG »)
Participation
L’article 19 septies de la Loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération, dispose que « Les collectivités territoriales, leurs groupements et les établissements publics territoriaux peuvent détenir ensemble jusqu'à 50 % du capital de chacune des sociétés coopératives d'intérêt collectif ».
La participation au sociétariat de la SCIC suppose de la part de chaque collectivité territoriale, qu’elle soit fondée par une compétence légale (qu’elle n’a pas déléguée entièrement) (voir plus haut)
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