Quelles alliances entre territoires urbains et ruraux pour une alimentation durable ? - cycle alimentation durable
Le 16 octobre 2020, à l'occasion de la journée mondiale de l'Alimentation, le RTES entamait un cycle de débats sur l'alimentation durable avec un premier échange autour de cette question : Quelles alliances entre territoires urbains et ruraux pour une alimentation durable ? Comment inscrire l’ESS au cœur de la gouvernance alimentaire territoriale : production, distribution au consommateur, transport des marchandises, etc. ? Quelles synergies acteurs/collectivités mettre en action ?
Mahel Coppey, vice-présidente déléguée à l’Economie Sociale et Solidaire et l’économie circulaire, Nantes Métropole
L’enjeu de l’alimentation durable est un enjeu complexe à plusieurs facettes : production, consommation, acheminement, accessibilité au foncier... elle concerne donc beaucoup de politiques publiques.
Sur Nantes Métropole, de nombreux acteurs et écosystèmes de l’alimentation sont organisés. En 2014, la Métropole a en effet souhaité structurer les acteurs de l’ESS de l’alimentation, car il y avait alors beaucoup de petits projets à forte qualité et qu’il est apparu nécessaire de stimuler des projets plus conséquents et faire dialoguer le monde urbain et le monde rural. Une feuille de route a donc été rédigée, non pas pour poser l’enjeu de l’autonomie alimentaire de Nantes Métropole, ce qui n’aurait aucun sens, mais pour définir les orientations en matières de circuits courts alimentaires : comment favoriser une consommation de produits locaux et l’agriculture paysanne ? Comment favoriser la logistique pour les acteurs de l’alimentation ? Comment garantir un juste prix aux producteurs ? Comment manger mieux pour une meilleure santé ? Comment réduire le gaspillage alimentaire ? Cette feuille de route a pu s’appuyer sur le projet d’ouverture d’un nouveau MIN entre 2014 et 2020 (un des plus gros de France après Rungis) qui a été l’opportunité de repositionner les producteurs locaux dans cet outil.
Durant 2 ans, Nantes Métropole a travaillé, via l’élaboration du PAT (Projet Alimentaire Territorial) sur la gouvernance alimentaire territoriale. Elle a pu s’appuyer pour ce faire sur la communauté d’acteurs de l’ESS qui s’engage sur les objectifs alimentaires, structurée depuis 2014, qui représente un vivier de porteurs de projets déjà organisés. Le PAT est un outil très important car il définit la relation, l’alliance entre territoires. Mahel Coppey insiste sur la nécessité d’aller plus loin, vers la coopération entre territoires, en s’appuyant par exemple sur les contrats de réciprocité. Nantes Métropole a signé un contrat de réciprocité avec le Pays de Retz en 2019, qui inclut plusieurs axes dont celui de l’alimentation. Ces espaces de dialogues et d’interconnaissance entre territoires sont essentiels pour dépasser les caricatures, les réflexes et habitudes et permettent d’aller vers davantage de co-construction, ils permettent de mettre de la démocratie dans nos assiettes.
Il est ensuite nécessaire de transformer les orientations politiques en actions concrètes et les collectivités disposent de plusieurs leviers d’action pour cela : la structuration des acteurs de l’ESS comme déjà évoqué (exemple du projet multi-acteurs, le kiosque paysan qui fédère près de 100 paysans). Le levier de la commande publique pour favoriser le développement d’une agriculture bio locale dans la restauration collective... avec l’exemple de Rennes Métropole qui va jusqu’à poser la préservation de la qualité de l’eau comme critère de ses appels d’offre. Et enfin agir sur le foncier en protégeant les terres agricoles de la Métropole ou en développant des infrastructures du dernier km par exemple.
Dominique Hays, Directeur Les Anges Gardins et du PTCE écopôle alimentaire, président du Réseau Cocagne
Il est essentiel d’opérer cette coopération entre territoires car les villes, pour des raisons agronomiques, ne peuvent être autosuffisantes. Il est nécessaire de laisser la capacité aux territoires de varier leurs cultures, respecter le principe de l’assolement (la rotation des terres) et ne pas rentrer dans une spécialisation de produits. Une des grandes tendances qui consiste à faire de l’agriculture compatible avec des espaces restreints, à l’exception d’agricultures de précision, s’appuie sur des nouvelles technologies directement en prise avec les GAFA (acteurs dont on ne sait pas ce qu’ils feront de quelque chose d’aussi importante que l’alimentation). Ainsi se pencher quelques peu sur l’agronomie nous défend de toute ambition d’autonomie et place la coopération entre territoires comme une nécessité.
Il est donc nécessaire de mettre cette coopération très concrètement en œuvre et de s’appuyer pour cela sur des outils, les écopôles alimentaires, qui sont des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE) soit un statut définit dans la loi ESS de 2014. Il s’agit d’organiser la complémentarité des productions (se parler et ne pas tous faire la même chose en même temps), avoir une logistique territoriale de stockage adaptée, faire preuve d’adaptation à l’innovation et accorder de la crédibilité à l’IAE et autres acteurs qui peuvent prendre en mains les maillons manquants. Par exemple sur Lens-Liévin, les Anges Gardins produisent plutôt du fruit, car personne d’autre ne s’en empare.
Le rôle des écopôles est de participer à la formation des acteurs : vous pouvez toujours affirmer que vous aller faire 30% de bio local dans la restauration collective, si vous n’expliquez pas au cuisinier ce que cela suppose en terme d’évolution des pratiques, il aura beau jeu de se méfier de cette nouvelle injonction. Aujourd’hui les changements climatiques vont plus vite que les évolutions professionnelles, il n’est donc plus seulement question de militer, il faut s’adapter très concrètement : se former et faire évoluer les pratiques.
Pour répondre à ces enjeux, l’écopôle alimentaire d’Audruicq fait émerger un nouveau modèle économique qui emprunte à l’économie de la fonctionnalité et de la coopération c'est-à-dire des modèles économiques qui trouvent leur solvabilité par le fait qu’ils combinent les usages et les fonctions et donc s’autorisent à associer toutes les parties prenantes. Les nouveaux modèles agricoles n’ont jamais eu la quantité d’aides dont a bénéficié l’agriculture conventionnelle avec la PAC, les collectivités ont donc leur rôle à jouer pas seulement dans le soutien des PAT, mais dans le soutien aux émanations concrètes. Il y a également au sein de l’écopôle alimentaire d’Audruicq et plus largement au sein du réseau Cocagne, des réflexions sur des outils comme les caisses de sécurité sociale alimentaire, les monnaies spéciales pour aborder des modèles de consommation vertueuse (par exemple la Manne : qui permet d’accéder à une alimentation de qualité en contrepartie de ses engagements sur le territoire).
Les besoins sont pressants et il faut vite se mettre à la tache. Il est important que les collectivités rendent le plus vite possible les choses possibles : jouer un rôle dans l’acquisition de terres, de bâti, que la logistique suive, qu’elles soient garantes des biens communs (est-ce bien aux acteurs d’en être acquéreur ?). Il y a besoin d’alliances d’un nouveau genre entre acteurs et collectivités, ce qui suppose que les collectivités envisagent les acteurs comme des pairs.
Luc Bodiguel, Directeur de recherche au CNRS, Droit et changement social, Chargé d'enseignement à la Faculté de Droit de Nantes, membre du projet de recherche FRUGAL « Formes urbaines et gouvernance alimentaire »
Le contrat de recherche FRUGAL porte sur les flux et les formes des aires urbaines alimentaires. Cette recherche a permis le développement d’outils d’aide à la décision pour les PAT ou assimilés : création par exemple d’un modèle de frise chronologique qui permet de comparer les gouvernances alimentaires territoriales de plusieurs villes et met en évidence le fait que la capacité à innover des villes dépend en grande partie de l’existence de partenariats établis avec des acteurs de l’alimentation depuis de longues années et ce notamment face à la crise Covid-19. FRUGAL a également permis de réaliser un panorama des outils juridiques accessibles aux collectivités, un outil d’autodiagnostic sur l’accessibilité à une alimentation durable, une série de monographies (épiceries solidaires, marques territoriales, etc.).
Les enseignements de FRUGAL : les collectivités territoriales constituent des acteurs structurants de la gouvernance alimentaire, elles sont même bien souvent au cœur des systèmes alimentaires territoriaux. Les collectivités disposent de nombreuses compétences et d’outils juridiques pour pouvoir agir. Les différentes études de cas étudiées mettent en évidence que les particularités locales sont essentielles et qu’il n’y a pas de modélisation possible des gouvernances alimentaires. Chaque collectivité doit ainsi trouver son mode de fonctionnement lié à son écosystème, sa population...
- Présentation du projet de recherche FRUGAL Luc Bodiguel
- le site du projet de recherche/action FRUGAL
Le 16 octobre 2020, à l'occasion de la journée mondiale de l'Alimentation, le RTES entamait un cycle de débats sur l'alimentation durable avec un premier échange autour de cette question : Quelles alliances entre territoires urbains et ruraux pour une alimentation durable ? Comment inscrire l’ESS au cœur de la gouvernance alimentaire territoriale : production, distribution au consommateur, transport des marchandises, etc. ? Quelles synergies acteurs/collectivités mettre en action ?
Mahel Coppey, vice-présidente déléguée à l’Economie Sociale et Solidaire et l’économie circulaire, Nantes Métropole
L’enjeu de l’alimentation durable est un enjeu complexe à plusieurs facettes : production, consommation, acheminement, accessibilité au foncier... elle concerne donc beaucoup de politiques publiques.
Sur Nantes Métropole, de nombreux acteurs et écosystèmes de l’alimentation sont organisés. En 2014, la Métropole a en effet souhaité structurer les acteurs de l’ESS de l’alimentation, car il y avait alors beaucoup de petits projets à forte qualité et qu’il est apparu nécessaire de stimuler des projets plus conséquents et faire dialoguer le monde urbain et le monde rural. Une feuille de route a donc été rédigée, non pas pour poser l’enjeu de l’autonomie alimentaire de Nantes Métropole, ce qui n’aurait aucun sens, mais pour définir les orientations en matières de circuits courts alimentaires : comment favoriser une consommation de produits locaux et l’agriculture paysanne ? Comment favoriser la logistique pour les acteurs de l’alimentation ? Comment garantir un juste prix aux producteurs ? Comment manger mieux pour une meilleure santé ? Comment réduire le gaspillage alimentaire ? Cette feuille de route a pu s’appuyer sur le projet d’ouverture d’un nouveau MIN entre 2014 et 2020 (un des plus gros de France après Rungis) qui a été l’opportunité de repositionner les producteurs locaux dans cet outil.
Durant 2 ans, Nantes Métropole a travaillé, via l’élaboration du PAT (Projet Alimentaire Territorial) sur la gouvernance alimentaire territoriale. Elle a pu s’appuyer pour ce faire sur la communauté d’acteurs de l’ESS qui s’engage sur les objectifs alimentaires, structurée depuis 2014, qui représente un vivier de porteurs de projets déjà organisés. Le PAT est un outil très important car il définit la relation, l’alliance entre territoires. Mahel Coppey insiste sur la nécessité d’aller plus loin, vers la coopération entre territoires, en s’appuyant par exemple sur les contrats de réciprocité. Nantes Métropole a signé un contrat de réciprocité avec le Pays de Retz en 2019, qui inclut plusieurs axes dont celui de l’alimentation. Ces espaces de dialogues et d’interconnaissance entre territoires sont essentiels pour dépasser les caricatures, les réflexes et habitudes et permettent d’aller vers davantage de co-construction, ils permettent de mettre de la démocratie dans nos assiettes.
Il est ensuite nécessaire de transformer les orientations politiques en actions concrètes et les collectivités disposent de plusieurs leviers d’action pour cela : la structuration des acteurs de l’ESS comme déjà évoqué (exemple du projet multi-acteurs, le kiosque paysan qui fédère près de 100 paysans). Le levier de la commande publique pour favoriser le développement d’une agriculture bio locale dans la restauration collective... avec l’exemple de Rennes Métropole qui va jusqu’à poser la préservation de la qualité de l’eau comme critère de ses appels d’offre. Et enfin agir sur le foncier en protégeant les terres agricoles de la Métropole ou en développant des infrastructures du dernier km par exemple.
Dominique Hays, Directeur Les Anges Gardins et du PTCE écopôle alimentaire, président du Réseau Cocagne
Il est essentiel d’opérer cette coopération entre territoires car les villes, pour des raisons agronomiques, ne peuvent être autosuffisantes. Il est nécessaire de laisser la capacité aux territoires de varier leurs cultures, respecter le principe de l’assolement (la rotation des terres) et ne pas rentrer dans une spécialisation de produits. Une des grandes tendances qui consiste à faire de l’agriculture compatible avec des espaces restreints, à l’exception d’agricultures de précision, s’appuie sur des nouvelles technologies directement en prise avec les GAFA (acteurs dont on ne sait pas ce qu’ils feront de quelque chose d’aussi importante que l’alimentation). Ainsi se pencher quelques peu sur l’agronomie nous défend de toute ambition d’autonomie et place la coopération entre territoires comme une nécessité.
Il est donc nécessaire de mettre cette coopération très concrètement en œuvre et de s’appuyer pour cela sur des outils, les écopôles alimentaires, qui sont des pôles territoriaux de coopération économique (PTCE), tels que reconnus dans la loi ESS de 2014. Il s’agit d’organiser la complémentarité des productions (se parler et ne pas tous faire la même chose en même temps), avoir une logistique territoriale de stockage adaptée, faire preuve d’adaptation à l’innovation et accorder de la crédibilité à l’IAE et autres acteurs qui peuvent prendre en mains les maillons manquants. Par exemple sur Lens-Liévin, les Anges Gardins produisent plutôt du fruit, car personne d’autre ne s’en empare.
Le rôle des écopôles est de participer à la formation des acteurs : vous pouvez toujours affirmer que vous allez faire 30% de bio local dans la restauration collective, si vous n’expliquez pas au cuisinier ce que cela suppose en terme d’évolution des pratiques, il aura beau jeu de se méfier de cette nouvelle injonction. Aujourd’hui les changements climatiques vont plus vite que les évolutions professionnelles, il n’est donc plus seulement question de militer, il faut s’adapter très concrètement : se former et faire évoluer les pratiques.
Pour répondre à ces enjeux, l’écopôle alimentaire d’Audruicq fait émerger un nouveau modèle économique qui emprunte à l’économie de la fonctionnalité et de la coopération c'est-à-dire des modèles économiques qui trouvent leur solvabilité par le fait qu’ils combinent les usages et les fonctions et donc s’autorisent à associer toutes les parties prenantes. Les nouveaux modèles agricoles n’ont jamais eu la quantité d’aides dont a bénéficié l’agriculture conventionnelle avec la PAC, les collectivités ont donc leur rôle à jouer pas seulement dans le soutien des PAT, mais dans le soutien aux émanations concrètes. Il y a également au sein de l’écopôle alimentaire d’Audruicq et plus largement au sein du réseau Cocagne, des réflexions sur des outils comme les caisses de sécurité sociale alimentaire, les monnaies spéciales pour aborder des modèles de consommation vertueuse (par exemple la Manne : qui permet d’accéder à une alimentation de qualité en contrepartie de ses engagements sur le territoire).
Les besoins sont pressants et il faut vite se mettre à la tache. Il est important que les collectivités rendent le plus vite possible les choses possibles : jouer un rôle dans l’acquisition de terres, de bâti, que la logistique suive, qu’elles soient garantes des biens communs (est-ce bien aux acteurs d’en être acquéreur ?). Il y a besoin d’alliances d’un nouveau genre entre acteurs et collectivités, ce qui suppose que les collectivités envisagent les acteurs comme des pairs.
Luc Bodiguel, Directeur de recherche au CNRS, Droit et changement social, Chargé d'enseignement à la Faculté de Droit de Nantes, membre du projet de recherche FRUGAL « Formes urbaines et gouvernance alimentaire »
Le contrat de recherche FRUGAL porte sur les flux et les formes des aires urbaines alimentaires. Cette recherche a permis le développement d’outils d’aide à la décision pour les PAT ou assimilés : création par exemple d’un modèle de frise chronologique qui permet de comparer les gouvernances alimentaires territoriales de plusieurs villes et met en évidence le fait que la capacité à innover des villes dépend en grande partie de l’existence de partenariats établis avec des acteurs de l’alimentation depuis de longues années et ce notamment face à la crise Covid-19. FRUGAL a également permis de réaliser un panorama des outils juridiques accessibles aux collectivités, un outil d’autodiagnostic sur l’accessibilité à une alimentation durable, une série de monographies (épiceries solidaires, marques territoriales, etc.).
Les enseignements de FRUGAL : les collectivités territoriales constituent des acteurs structurants de la gouvernance alimentaire, elles sont même bien souvent au cœur des systèmes alimentaires territoriaux. Les collectivités disposent de nombreuses compétences et d’outils juridiques pour pouvoir agir. Les différentes études de cas étudiées mettent en évidence que les particularités locales sont essentielles et qu’il n’y a pas de modélisation possible des gouvernances alimentaires. Chaque collectivité doit ainsi trouver son mode de fonctionnement lié à son écosystème, sa population...